9 - L'exposition des sentiments

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Printemps 2021


J'ai toujours suivi Sora pour les études, incapable de me décider, et avec au cœur l'envie d'être le plus souvent possible à ses côtés, mais quand il a choisi une option en art alors que c'était facultatif, j'ai passé mon tour. Je n'ai absolument aucun talent ! Je préférais éviter de faire baisser ma moyenne. Lui, en revanche, il a du talent à revendre, notamment dans la photographie. C'est bien pour ça que son professeur a décidé d'organiser une exposition avec lui. Sora n'était pas trop partant, mais quand on lui a dit que la note compterait dans sa moyenne et donc pour le contrôle continu, il a changé d'avis.

Finalement, on est pareils ! Lui, il cherche à augmenter sa moyenne, moi, à ne pas la faire baisser.

De fil en aiguille, son professeur un peu déjanté et lui ont organisé l'exposition qui se tient aujourd'hui dans l'agora de notre lycée. Il n'y a pas eu d'invitations ou quoi que ce soit du genre, les photos sont juste là, et les regarde qui veut les regarder.

Je ne pensais pas qu'il y aurait autant d'intéressés, mais il faut croire que le mot est passé parce qu'où que j'aille dans le lycée, j'entends les gens dire qu'il faut absolument voir ça. Du coup, je brûle d'impatience de pouvoir aller admirer l'exposition à mon tour !


Une fois les cahiers déposés à la vie scolaire, je remonte enfin le couloir pour atteindre l'agora. Sur le chemin, j'entends des filles dire qu'elles ne savent pas ce qui est le plus beau entre les photos ou le photographe, et je fronce les sourcils.

Trois autres personnes vantent les mérites – ou la beauté – de Sora avant que je n'atteigne enfin l'exposition. Je me fais la réflexion que l'être humain est fort changeant. Il était presque invisible jusque-là, et maintenant, c'est un Dieu vivant...

Je suis un peu jaloux. Sora est mon petit ami, j'aimerais que les gens arrêtent de le regarder comme le font ces deux filles assises non loin.

Je peste encore mentalement quand je sens une présence à mes côtés.

— Tu aimes ?

— Hein ? demandé-je en tournant la tête vers Sora.

— Les photos, Eli.

— Je ne les ai pas encore regardées.

— Tu es planté ici depuis quinze minutes, qu'est-ce que tu fabriques ?

Je ne vais quand même pas lui dire que je dévisage deux idiotes qui bavent sur lui... Je préfère secouer la tête pour lui faire savoir qu'il n'y a rien. Tout va bien.

— Montre-moi ! m'exclamé-je.

— Tu as juste à suivre les flèches. Je ne vais pas te tenir la main, grogne-t-il.

C'est un peu vexant de se faire rejeter comme ça, mais nous avons décidé de ne pas nous afficher au lycée, alors je ne peux rien dire. Malgré tout, je baisse la tête, un peu blessé. Puis je m'éloigne pour découvrir ses photos une par une.

Elles sont sublimes, mais je ne suis pas surpris. Je connais le talent de Sora et j'ai déjà vu son travail. Dans l'agora sont réunis tous ses plus beaux clichés de personnes qu'il a photographiées de dos. Il n'y a aucun visage, impossible de savoir qui se cache derrière chaque photo à moins de connaître la personne. Ou d'être cette personne. Pourtant, c'est splendide. J'adore les différents paysages qui se dévoilent autour des différents corps.


Mon cœur s'arrête quand j'atteins la dernière photo et que je réalise que c'est moi. Je suis assis au bord du lac, la tête levée vers le ciel. On ne le voit pas, mais j'ai les yeux clos. Je me souviens encore très bien du soleil sur ma peau, de la chaleur dans mon corps, du plaisir dans mon cœur. C'était une journée merveilleuse avec Sora. Il ne savait rien de ce que je ressentais pour lui, je ne sais même pas si je savais moi-même, mais j'étais heureux parce que j'avais l'impression d'être à ma place, avec la personne faite pour moi. Je me souviens m'être dit que jamais je ne pourrais être plus heureux qu'en cet instant.

— Elle est très belle, dis-je, quand je vois qu'il m'a rejoint.

Il ne répond pas. Le dos de sa main frôle la mienne, et je sens mon cœur s'emballer, comme toujours. Je m'inquiète que les gens nous voient, mais je n'ose pas bouger de peur que ce soit encore plus flagrant.

— Pourquoi avoir fini avec cette photo ? demandé-je, tentant de garder contenance.

— Parce que c'est la dernière que j'ai du nous d'avant.

— Comment ça ?

— Ce jour-là, j'ignorais tout de mes sentiments pour toi, et des tiens, bien sûr.

— Tu as fait des photos de moi l'hiver dernier, tu ne savais pas non plus pour tes sentiments.

— Pas tout à fait, mais je sentais quelque chose de différent, et à chaque étoile dépliée, c'était plus fort.

Je ne sais pas quoi répondre, mais je n'ai pas à parler parce qu'il continue :

— Cette photo, c'est comme la fin et le commencement de nous. Le lien entre les deux.

Je n'aime pas qu'il parle de fin. Je sais qu'il veut dire que notre amitié a laissé place à notre amour, mais je n'apprécie pas parce que je veux qu'il reste mon meilleur ami. Il avait dit que c'était possible...

— J'ai dit une bêtise, Eli ?

— Non...

— Parle-moi, s'il te plaît.

— Je suis juste triste que tu penses notre amitié finie...

— Ce n'est pas ça ! Je savais que je m'étais mal exprimé, s'agace-t-il contre lui-même. C'est comme tout à l'heure. Je ne voulais pas te repousser, j'étais juste embarrassé par cette exposition... Je n'arrive pas à dire les choses comme il faut.

— Ce n'est pas grave, je suis pire que toi.

Il tourne la tête vers moi et sourit en voyant mon propre sourire. Il se retient sûrement de dire que c'est vrai, que je suis un cas désespéré, et qu'il n'est pas encore à mon niveau. Il fait bien, je pourrais me vexer. Je suis à fleur de peau, là !

Sora tourne la tête, et quand son inspection est terminée, il approche un peu plus sa main de la mienne et glisse ses doigts dans les miens. Le rouge me monte aux joues, mon cœur fait un tour dans le grand huit.

— Cette photo, reprend Sora à voix basse, c'est le lien entre avant et aujourd'hui. Tu souriais, ce jour-là, sans te soucier de rien, sans inquiétude de faire mal. C'est l'objectif que j'ai : toujours te faire sourire, dans les moments amicaux comme les moments amoureux. J'ai encore du travail, mais je deviendrai meilleur, et un jour, on sera moins mal à l'aise avec ce nouveau nous.

Avant que je puisse répondre, le professeur de Sora crie son nom et dit qu'il y a des gens qui veulent le féliciter. Mon petit ami lâche ma main en m'offrant un sourire contrit, mais je lui en offre un rassurant en retour et l'invite à y aller. C'est son exposition, son moment. Les gens peuvent bien m'enlever ma lumière temporairement, je m'en remettrai.

Aujourd'hui, Sora brille pour tout le monde, et ça me rend heureux pour lui. Plus tard, je le retrouverai, et je pourrai lui dire combien je l'aime, et le rassurer : il n'a pas à faire plus, le sourire que je porte chaque jour sur mon visage, c'est déjà à lui que je le dois. Et même si nous sommes maladroits, même si je rougis tout le temps et n'ose pas toujours parler, ça ne veut pas dire que je ne suis pas aussi heureux que le jour où il a pris cette photo. En fait, je crois que je le suis encore plus...

Les étoiles de décembre - Histoires bonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant