Printemps 2023
Il y a du monde partout dans le parc d'Ueno, sur les bancs qui bordent le lac, dans les allées, dans l'herbe, et sous les arbres. Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de gens, je comprends mieux pourquoi la cousine de Sora est partie avant nous pour nous réserver une bonne place – d'après ce qu'il m'a dit, parce que je ne comprends pas assez bien le japonais.
Enfin, je peux voir les cerisiers en fleurs au Japon ! Mon sourire ne me quitte pas depuis qu'on a mis les pieds ici. Pour être honnête, il ne me quitte pas depuis qu'on est descendus de l'avion et que je me suis retrouvé dans ce pays qui me passionne depuis si longtemps, celui qui a vu naître Sora et que je voulais tant découvrir. Mais ce moment en particulier me rend heureux. Les cerisiers en fleurs, c'est vraiment quelque chose que j'associe au Japon, une chose que je voulais absolument voir. Je ne suis pas déçu, c'est de toute beauté, exactement comme je l'imaginais. Non, encore mieux !
Une voix me tire de ma contemplation. Quand je tourne la tête, je vois que la tante de Sora m'observe, attendant une réponse, mais je ne sais pas ce qu'elle a dit. Je ne l'ai pas entendue. Et même si je l'avais fait, je n'aurais rien compris...
— Elle te demande si tu trouves ça joli, me traduit Sora.
Je secoue la tête en criant :
— はい !
« Oui », un des rares mots que je connais. Mon interlocutrice semble ravie. Elle se lance dans une longue tirade à laquelle je ne comprends rien. Je sais qu'elle parle des cerisiers, mais ça s'arrête là. Je l'écoute malgré tout avec attention. Je tente de me montrer poli.
Je crois que je suis un garçon poli de base, mais depuis que la famille de Sora nous a ouvert la porte de chez elle et nous a accueillis pour nos vacances, je force encore plus ce trait. Ils sont tellement aux petits soins avec moi que je ne me vois pas faire autrement !
Finalement, la tante de Sora se met à discuter avec sa fille et son gendre qui nous ont accompagnés. Je ne sais toujours pas ce qu'ils racontent, mais ils finissent par se lever en posant une nouvelle question à laquelle mon petit ami répond par la négative. Puis sa cousine ajoute quelque chose en riant, ce qui fait aussi rire Sora, et ils s'en vont.
— Qu'est-ce qu'ils ont dit ? Et où ils vont ?
— Ils vont au temple, et ma cousine a dit de ne pas toucher au saké, ajoute-t-il en souriant.
— Jamais je ne boirai avec ta famille !
— Vu comment tu tiens l'alcool, c'est préférable.
Je tente de le fouetter avec le tissu qui emballait mon bento, mais il évite habilement mon geste avant d'attraper ma main pour me rapprocher de lui. Mon épaule est collée à la sienne dans un contact délicieux qui me ravit.
— Ma tante ne nous aurait pas laissés boire, de toute façon. On n'a pas l'âge légal.
— On est majeurs, lui rappelé-je.
— Oui, mais pas assez vieux pour boire ici. Depuis l'an dernier, on est considérés majeurs à dix-huit ans, on peut se marier sans l'accord d'un adulte, conduire une voiture et d'autres trucs du genre, mais on a toujours interdiction de boire de l'alcool avant vingt ans.
Je l'ignorais. J'apprends toujours beaucoup de choses avec Sora. Il en connaît un rayon grâce à ses années ici et sa famille, mais il en apprend un peu plus chaque jour à l'université, et il me régale de ses histoires. J'adore quand il me parle du Japon ! Peut-être au moins autant que j'aime découvrir le pays avec mes propres yeux.
Je lève la tête. Un pétale rose me tombe sur le visage et me fait sourire. Les cerisiers sont absolument magnifiques. Maintenant que je les vois en vrai, je trouve le tatouage de Sayaka encore plus réussi. C'est comme si elle était parvenue à mettre dans sa pièce le véritable modèle, jusqu'à l'ambiance qui se dégage de l'instant que je vis, l'essence-même du Japon.
En tournant la tête vers la gauche, je vois un homme devant le lac, qui peint. En la tournant vers la droite, j'aperçois une jeune femme vêtue d'un superbe kimono qui cache un sourire derrière sa main. Devant moi, des groupes de gens mangent, boivent et discutent sous les cerisiers, installés sur des bâches. Et juste à côté de moi, il y a Sora, qui tient ma main. Ses yeux sont clos, et il affiche un magnifique sourire. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il est heureux. Je le suis aussi.
Parfois, les moments les plus simples sont aussi les plus beaux. Pour ma part, tous ceux que je vis avec Sora le sont. Il rend ma vie plus belle, et pas seulement en hiver. Ce printemps au Japon me le prouve.
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Notes
1. Le bento (bentō) est un repas prêt à consommer de la culture japonaise. Dans une boîte à plusieurs étages et compartiments, les Japonais transportent leur repas complet à l'école, au travail ou ailleurs.
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Les étoiles de décembre - Histoires bonus
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