"Esclave de corps, d'esprit libre,
l'homme de demain s'exprimera
grâce à son Attribut."
- Je vous en supplie, vous devez le laisser manger, il n'est qu'un enfant. Il est si petit, je vous en supplie.
- QU'UN ENFANT ?! CE N'EST PAS "QU'UN ENFANT", C'EST MON FILS ! rugit la voix d'un homme.
- Monsieur, je vous en supplie, il n'a pas mangé depuis plusieurs jours. Laissez-moi juste vérifier qu'il va bien. Je vous en supplie, Monseigneur, il n'a que 5 ans.
La femme qui supplie pleure et sanglote. Je reconnais sa voix.
Un cri se fait entendre, et la domestique tenant le plateau s'écroule, dans un bruit de vaisselle cassée.
Je suis attaché, au fond de la cellule, donc je ne vois pas ce qu'il s'est passé, mais j'en sais assez et j'en ai assez entendu pour comprendre que la domestique vient de supplier mon père de me nourrir, et je pense qu'elle vient de perdre la vie à cause de cette demande.
Je n'ai même pas la force de hurler de colère. Joséphine était douce, merveilleuse, calme, et la seule personne qui ait jamais pris soin de moi.
- Nettoyez-moi le sang de cette gueuse. Le prochain qui discute mes méthodes d'éducation aura le même sort.
Je gémis.
L'homme qui se dit mon père me regarde à travers les barreaux de ma cellule, et d'un regard, me fait ressentir les pires souffrances.
Mon père a un don, mais son don est une malédiction pour moi. Il a une connaissance aiguë et précise du système nerveux, et peut déclencher n'importe quelle souffrance à n'importe quel endroit de mon corps juste par la pensée.
C'est la troisième journée que je passe sans manger, et avec une interdiction totale d'utiliser mon Attribut. Mon père monte la garde pour vérifier que je réprime son pouvoir, que je le contrôle.
J'attends, mais je ne peux résister à la tentation de tendre un bras spirituel pour essayer de toucher l'esprit de Joséphine, voir si elle vit.
Évidemment, je ne rencontre qu'un mur de douleur. Comment fait-il pour savoir ? Comment fait-il ?
- TU DOIS M'OBÉIR !!!
Gaspard se réveille en sursaut.
Un cauchemar. Toujours le même.
Gaspard lance son Attribut autour de lui, comme un réflexe. Est-il là ? Hésite.
Un scan des environs lui assure que non, son père n'est pas là.
Il soupire, soulagé.
Il connaît la suite de ce rêve, il l'a vécue. C'est sa vie.
L'enfant dans la cage a obéit, il a replié son Attribut affamé, brisé, soumis, à l'intérieur de lui-même, et il a obéi. Il a obéi même si cela va à l'encontre de tous les Potestate de réprimer l'expression de leur Attribut.
Il sait ce que cela lui a fait.
Il a failli devenir fou, perdre toute raison de vivre.
Il voulait mourir.
Mais il est sorti de la cage.
Gaspard frotte son front de sa main, et pince le haut de son nez, entre ses sourcils, comme pour réprimer une migraine.
Le manque de sommeil et la quantité de travail astronomique ne lui ont pas permis de méditer correctement et de prendre soin de son état mental. Résultat, il est agité, et fait des rêves étranges. Son subconscient lui fait revivre son traumatisme, comme les premières semaines après qu'il se soit échappé... avant que le tyran ne le récupère.
Gaspard s'assoit en tailleur devant la baie vitrée du 48e étage, et regarde la ville en contrebas.
Après une longue minute, il ferme les yeux, et replie son esprit sur lui-même. Le monde autour de lui se tait.
Son Attribut se love comme un chaton dans son ventre. Pas replié, mais témoin de l'introspection de Gaspard. Son corps se met en veille, pour renforcer son esprit, et maîtriser ses doutes, ses peurs, et dépasser son traumatisme.
Il pense à Farid, qui maitrise de mieux en mieux la méditation. Lui apprendre l'a lui aussi appris à mieux maitriser le flot de sa pensée. Farid appelle ça le Mektoub.
Étonnamment, ce jeune homme qui ne paie pas de mine est arrivé avec une ressource incroyable au moment opportun. La légéreté. Le lâcher prise. Un enseignement qui était nécessaire à Gaspard dans un moment de transition difficile.
La vie est un paradoxe insolvable, et la vie est trop courte. Parfois, ne pas chercher à tout expliquer est aussi une façon de vivre mieux.
Il pense à Mia, à sa rencontre avec elle, le premier jour, au Train Bleu.
Il ne s'était même pas rendu compte qu'elle était entrée, pourtant il a l'entrainement des meilleurs assassins du monde. A aucun moment, jamais, il ne baisse sa garde.
Pourtant, ce jour-là, il ne l'a pas entendue avant qu'elle déglutisse son café. Lui-même en est toujours surpris à l'heure actuelle.
Le plus surprenant, c'est que ce jour-là, il était au bout de ses forces, sa mission l'avait épuisé, et il était revenu exsangue, autant physiquement qu'en termes d'Attributio.
Il avait été surpris de se réveiller, l'équilibre fin de son Attribut restauré. Il aurait pu se passer de boire le reste de la tasse de café ce jour-là. Évidemment, il avait compris ce qu'il s'était passé, quand il a pu lui restituer une charge d'énergie à son tour.
Leur pouvoir est plus complexe qu'il ne le croyait, et jusqu'à maintenant, il n'est pas sûr de comprendre. Il semble qu'il puisse influer sur son pouvoir, et elle, sur le sien. Se rend-elle compte qu'il lui a rendu de l'énergie, par deux fois ? Il est en revanche certain qu'elle ne s'est pas rendue compte de l'énergie qu'elle lui a transmis ce jour-là, au café.
Ce n'est pas juste une question de pouvoir ? Est-ce qu'il y a une autre explication scientifique à cela ?
Cela défie tout ce qu'il connaît sur l'Attributio, le fait qu'une personne puisse partager cette énergie psychique comme l'on partagerait un gâteau.
Est-ce que cela est dû à leur contrepartie commune ? Est-ce que leurs pouvoirs aussi sont identiques ?
Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose d'incroyablement magique et de profondément transcendant dans tout cela ? Ils se sont trouvés à des moments où leur existence était en péril, pour se sauver mutuellement.
Acharné de boulot, portée par la lourdeur de son existence, Gaspard aurait pu disparaître absorbé par son travail, tandis que Mia subit son quotidien, son devoir et cherche à tout prix à s'échapper, à se libérer, à s'alléger. Leur existence fugace est parsemée d'une course contre la montre où Gaspard ne peut s'empêcher de penser : nous passons tous les deux peut-être à cause de l'essentiel. L'essentiel est invisible pour les yeux.
Puis, il balaye cette idée. Non, l'essentiel est là : les gens meurent, la société s'écroule. Il n'est pas question de chercher à survivre, mais de savoir comment sauver cette société gangrenée, survivre en espérant pouvoir trouver une issue méliorative. Se battre, car le reste n'aurait pas de sens, si l'on ne replaçait pas l'essentiel : sans la bataille, c'est de la survie, pure et dure. C'est du vivotage. Il n'y aura pas de place pour la légèreté dans un monde où on ne réfléchit pas à son amélioration.
Il ouvre les yeux. Finalement, il n'a pas médité. Il n'a pas été capable de faire taire la voix dans sa tête, mais il a replacé les choses.
Cet échange, cette circulation, elle a tout de magique, en quelque sorte. Farid lui aurait dit de ne pas chercher à tout expliquer, et de laisser couler les choses. Le destin a une place pour chaque élément dans la création. Une explication pour tout, même si on ne la voit pas.
- C'était peut-être écrit aussi, dans ce cas ?
Gaspard sourit.
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Célestes [En Édition Avant De Reprendre L'écriture]
Fiksi IlmiahDans le futur, le monde s'est effondré, et seule une très petite minorité de personnes vivent encore convenablement. Dans un Paris en ruine, survivre en cachant sa véritable nature n'est pas un problème, c'est une obligation, une question de vie ou...