Chapitre 4 - La Frontière

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Duncan avait oublié un léger détail : les loups-garous n'étaient pas franchement les bienvenus sur la Terre des Vampires.

Après un périple de plusieurs jours, au cours desquels sa réserve d'or avait quelque peu pris un coup, une dernière diligence le déposa à la frontière. Celle-ci s'étendait sur des milliers de lieues et représentait la séparation entre le territoire des immortels et celui des lycanthropes. Des millions de barricades étaient nécessaires pour maintenir la délimitation parfaitement claire et hermétique. Nul ne pouvait prétendre s'être perdu dans la contrée voisine et se balader dans un pays étranger sans la moindre autorisation.

Le loup de l'Émeraude se retrouva dans une ville orpheline, qui s'appelait tout simplement "la Frontière". D'après ce qu'il avait compris des conversations de ses compagnons de voyage – auxquels il s'était bien sûr abstenu de parler – cet endroit regroupait la pire misère du monde. Il constituait un passage obligé pour les loups qui aspiraient à s'aventurer chez les vampires, et réciproquement, les buveurs de sang ne pouvaient y échapper s'ils souhaitaient quitter leur royaume.

Dès qu'il arpenta les premières rues de la cité, Duncan put constater que les descriptions peu flatteuses qu'il avait entendues de ce lieu n'étaient que de doux euphémismes. Il se surprit même à penser qu'à côté de la Frontière, les bas quartiers de Fearghasdan passeraient presque pour un havre de paix.

Partout où il posait les yeux, il ne voyait qu'une infinie désolation. Des mendiants s'alignaient au pied des bâtiments délabrés, dont les toits et les murs tombaient en miettes. Bien qu'il soit arrivé de jour, alors que le soleil printanier brillait d'une lueur orangée, il sembla au voleur qu'aucune lumière n'aurait pu rendre ses couleurs à cette ville. Cette dernière n'était qu'un concentré de gris, comme si les larmes de ses habitants l'avaient tant imprégnée qu'elle témoignait de la peine obscurcissant leurs coeurs.

Il déambula dans les ruelles sales sans savoir où aller, n'ayant aucune idée de ce qu'il devait faire pour être admis sur la Terre des Vampires. Un loup-garou pouvait-il seulement s'y rendre sans l'autorisation de son alpha ? Tu es vraiment le roi de l'organisation, se réprimanda-t-il intérieurement. Il aurait au moins pu surpasser sa timidité le temps de demander des informations aux autres occupants de la diligence, ou avoir la présence d'esprit de les suivre une fois descendu.

Tant pis, il allait devoir se débrouiller et être obligé de quémander de l'aide auprès d'un passant. Il supposa que les mendiants devaient occuper les lieux depuis suffisamment longtemps pour les connaître un minimum, ce qui le poussa à s'approcher de l'un d'eux. Il se racla la gorge, prit une inspiration, puis interpella le jeune homme assis sur le sol terreux :

— Excusez-moi, est-ce que vous savez comment faire pour aller sur la Terre des Vampires ?

Le garçon paraissait avoir à peu près son âge, soit environ vingt-deux ans, or son regard éteint s'apparentait à celui d'un vieillard approchant le siècle d'existence. Le bracelet blanc accroché à son poignet indiquait qu'il était un Neutre, ce qui n'était pas étonnant à cette heure de l'après-midi. Les immortels devaient être en train de se cacher du soleil, épargnant ainsi à Duncan de se retrouver face à un être à la force surnaturelle, potentiellement dangereux.

— Il faut aller aux admissions, marmonna le mendiant, sans regarder le loup-garou dans les yeux.

Ses iris marron fixaient les deux bagues serties d'une émeraude qui brillaient sur les doigts de Duncan. Par précaution, ce dernier enfonça sa main libre dans sa poche, l'autre étant contrainte de tenir son sac de voyage.

Même si le lycanthrope avait grandi sans famille, il avait pu recevoir les bagues de transformation dues à chaque loup, qui atténuaient la douleur lors des mutations. Aux alentours de son dixième anniversaire, âge auquel sa forme animale devait apparaître pour la première fois, il avait rassemblé son courage et était entré chez un bijoutier. Après avoir mené une enquête sur lui, afin de s'assurer qu'il n'était pas un petit malin cherchant à obtenir des pierres précieuses alors qu'il en avait déjà, il s'était vu remettre les anneaux tant espérés.

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