Prologue

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Rowan ne pouvait pas dormir.

Cela faisait au moins deux heures qu'il se tournait et se retournait dans son lit, sans parvenir à trouver le sommeil. Il lui semblait pourtant s'être assoupi quelques minutes, mais un bruit inconnu l'avait réveillé.

Depuis, des pas précipités tambourinaient dans le couloir, ainsi que des murmures étouffés.

Le garçon aurait bien aimé voir ce qui se passait, or son père lui interdisait de déambuler la nuit. Le Grand Alpha pourrait te trouver, lui disait-il. Et s'il y avait bien une chose que Rowan savait, c'était qu'il fallait se méfier du Grand Alpha.

Surtout quand il était seul avec son fils. Surtout lorsqu'il se croyait seul avec son fils.

Rowan avait un jour eu le malheur de voir ce que Clark subissait, et cela n'avait pas du tout plu au Grand Alpha. Ce dernier l'avait tellement terrifié qu'il avait aussitôt couru pleurer dans les jambes de ses parents. Ils lui avaient suggéré de s'éloigner de Clark, mais Rowan n'avait pu s'y résoudre.

Il n'abandonnerait jamais son meilleur ami. Même si le Grand Alpha devait un jour le battre comme il battait son fils, il ne le laisserait pas tomber.

Justement, le jeune loup commençait à s'inquiéter pour Clark. Et si quelqu'un avait surpris les agissements de son père ? Pire, et si son père lui avait porté le coup de trop ?

Peut-être que Clark était mort, ce qui expliquerait tant d'agitation à une heure si tardive.

Ne pouvant rester dans l'ignorance, Rowan sortit de son lit. Il enfila ses pantoufles et s'approcha de sa porte, qu'il entrouvrit doucement. Un rai de lumière s'immisça dans la pièce, des chandelles ayant été allumées un peu partout. Il passa la tête dans l'entrebâillement, afin de voir si la chambre de ses parents était fermée. Comme celle-ci se trouvait juste en face de la sienne, il remarqua vite le battant grand ouvert.

Un garde passa devant lui, sans le remarquer. Trois domestiques en robe de chambre le suivaient, les bras fermement croisés.

— C'est impossible, murmura l'un d'eux. Je refuse d'y croire, c'est...

Rowan ne put entendre la suite. Les quatre silhouettes disparurent à l'angle du couloir, le laissant seul avec ses doutes.

Le garçon décida de les suivre. Après tout, à dix ans, il n'était plus un enfant obligé de respecter les consignes. Il avait connu sa première transformation cinq mois plus tôt, signe qu'il devenait un grand. Du moins, c'était ce qu'il aimait répéter à tout le monde.

Il marcha une vingtaine de mètres derrière les domestiques, en prenant soin de ne pas se faire repérer. Hélas, au bout de quelques minutes, il fut rattrapé par d'autres employés. À son grand étonnement, personne ne lui dit de retourner dans sa chambre. L'air hagard, tous se dirigeaient vers le même point, parfois en sanglotant.

— Est-ce que quelqu'un pourrait me dire ce qui se passe ? s'agaça un cuisinier bourru. Ce fichu palais est-il donc en train de brûler ?

Si l'ambiance avait été moins pesante, Rowan aurait pu s'amuser de voir le vieil homme déambuler en tenue de nuit. Cependant, les paroles d'une femme de chambre lui coupèrent toute envie de rire :

— C'est... C'est la femme du Grand Alpha, elle... On raconte qu'il lui est arrivé malheur.

Le garçon manqua de trébucher. Il avait croisé Mina, la mère de Clark, au cours de l'après-midi. Elle lui avait semblé aussi rayonnante et enjouée que d'habitude.

Le couloir se retrouva bientôt embouteillé par des dizaines de curieux. Envahi par le pire des pressentiments, Rowan se fraya un chemin à travers les pantalons larges et les chemises de nuit, afin de se retrouver au bas d'un escalier.

Un escalier aux marches recouvertes de sang, que personne n'osait approcher.

Clark s'y tenait recroquevillé sur lui-même, la tête cachée entre ses bras. La main plaquée devant leur bouche, les domestiques murmuraient des paroles funestes en se tenant à distance.

— On dit que le petit était avec elle quand elle est tombée, entendit Rowan.

— Non, il paraît que c'est lui qui a trouvé le corps, prétendit un autre.

— Quelle horreur, regrettèrent-ils tous.

Rowan s'approcha de son ami, et constata qu'il pleurait. Du liquide rouge cascadait sur les marches en marbre, près de l'endroit où il était assis. Rowan posa une main sur son épaule et il sursauta. Il releva brusquement la tête vers lui, les yeux rougis derrière ses lunettes. Il se détendit un peu en constatant qu'il ne s'agissait pas de son père, mais son teint demeura livide.

— Je... J'aurais jamais dû lui dire, bredouilla-t-il entre deux sanglots. Tout est de ma faute...

Rowan caressa lentement son épaule. Il n'était pas sûr de comprendre toute la situation. Ou plutôt, il refusait de comprendre.

— Que s'est-il passé ? C'est ton père qui...

Il n'osa terminer sa phrase. Car ce qu'il avait en tête était bien trop terrible pour être prononcé.

— J'ai... J'avais trop mal, pleura Clark. Il m'a tellement frappé que j'arrivais pas à descendre les escaliers, ma mère est venue, j'aurais jamais dû lui dire et...

Rowan constata que du sang maculait les vêtements de son meilleur ami. Un sang qui devait être le sien, mais pas seulement.

— Ils... Ils se sont disputés, il l'a poussée, et elle est tombée et... Elle se réveille plus.

Le jeune loup sentit son sang se glacer.

Mina avait beau être la douceur incarnée, elle avait épousé un monstre.

Jusque-là, elle ne le savait pas. Elle ne savait pas tout ce que son fils endurait, ni tout ce que son mari idéal et parfait était capable de faire.

Et à présent, il semblait qu'elle s'en soit rendu compte trop tard.

— J'ai crié pour essayer de la réveiller, reprit Clark. Il... Il y avait du sang partout, mais... Elle va se réveiller, hein ? Les docteurs sont venus la prendre, c'est qu'ils vont l'aider, non ?

Rowan ne répondit rien. Quelque chose lui disait que plus personne ne reverrait jamais Mina, si ce n'est dans un cercueil.

En dépit du sang qui recouvrait son ami, Rowan le prit dans ses bras. Il le serra avec force, tout en réprimant son propre effroi.

— Ça va aller, affirma-t-il. Quoi qu'il arrive, tu m'auras toujours. Tout se passera bien.

Mais il mentait.

Tant que le méchant Grand Alpha serait en vie, rien ne se passerait jamais bien.

Histoires de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant