Les enfants de Permana

Chapitre 3 : partie 2

Le clip musical n'était pas le seul projet en cours de nos vidéastes. Il y en avait un autre pour Cyril qui concernait une activité d'un genre différent : l'escape game. 

Un duo de vidéaste avait décidé de réunir des collègues pour se frotter à un parcours grandeur nature autour d'un jeu vidéo qui allait sortit prochainement. Amateur de gaming et séduit par le style particulier des organisateurs avec qui il avait déjà tourné, Zodiac alias Cyril avait tout de suite accepté l'invitation.

Il était emballé à l'idée de retrouver les deux trentenaires flanqués de leur accent écossais, de pantalons en carreaux de tartan et d'une audace qui vous plongeaient immédiatement dans l'ambiance des énigmes dont ils raffolaient. Allan était un géant prudent aux bouclettes indisciplinées. Son compère Gregor était un petit nounours constellé de taches de rousseur qui savait se faire pardonner tous ses caprices !

Rubis suivit attentivement la dernière réunion que ces écossais et leurs collègues organisèrent pour préparer leur escapade qui se tiendrait dans une forêt éloignée de Paris. Le démon cibla l'une des participantes pour lui tendre un piège. Elle ne fila donc pas Cyril lorsque ce dernier sortit de cette ultime réunion de travail. À la place, elle se mit à suivre une certaine Noémie jusque chez elle et patienta jusqu'au lendemain matin. 

Quelques heures avant le rendez-vous en forêt, Rubis lui rendit une visite surprise sous une apparence familière. Le voilà son don : notre sœur est une panyakulit. Elle peut prendre l'apparence de n'importe quelle personne dont elle a mémorisé l'allure. 

Les panyakulit sont les rois de la dissimulation parmi les démons. La magie circule dans le corps d'une créature magique tel un torrent qui inonde son âme. Certaines espèces peuvent déceler ce phénomène à travers la peau de leurs semblables. Nous nommons cela l'aura. Or, le clan des panyakulit est le seul clan démoniaque à pouvoir dissimuler son aura. La Terre étant leur terrain de jeu préféré, Rubis était née et avait passé la majeure partie de sa vie sur la planète bleue ce qui expliquait son aisance sur celle-ci.

La chasseuse avait bien mémorisé la tête des collègues avec qui Noémie avait discuté la veille, dont celle des deux manusia écossais. Après avoir vérifié que l'imitation était parfaite, Rubis se présenta à la porte de l'appartement de sa soi-disant collègue sous les traits de Gregor. En ouvrant la porte, Noémie fut très surprise d'y trouver quelqu'un qu'elle ne s'attendait pas du tout à voir aussi tôt. Prenant un faux air gêné, le petit britannique s'exclama : 

― Salut... Dis, il y a juste quelques détails qu'on a oublié de vérifier avec toi pour tout à l'heure. Je te dérange peut-être ?

― J'étais juste en train de déjeuner mais c'est bon t'inquiète ! Mais tu ne préfères pas qu'on soit tous là-bas pour régler ce genre de choses ?

― Cool, tu me rassures ! Allan et moi on s'est dit que ce serait mieux de régler ça avant. On s'est mis d'accord pour que je passe vite fait avant d'aller le chercher.

― Bon OK... Ça marche... Entre ! proposa-t-elle en fronçant légèrement les sourcils aux vues des explications laborieuses et floues de Gregor qui ne broncha pas.

Sur ce, Noémie le fit entrer. Finissant de déjeuner, elle lui demanda s'il voulait du café.

― Oui je veux bien.

― Je t'amène ça, installe-toi.

― Merci Noémie. Déjà, je voulais savoir, tu as bien noté l'adresse ?

― Bien sûr ! On a déjà parlé de ça hier.

― Une fois de plus, ça ne fait pas de mal !

Noémie émit un léger rire. Elle avait rarement vu Gregor aussi prévoyant pour une vidéo. Le lieu exact du rendez-vous était la seule donnée indispensable qu'il manquait à Rubis. Celle-ci était forcée d'admettre que même si la télépathie lui était très pratique pour avoir des informations, cette capacité était obstruée par la mécanique du cerveau qui n'est pas fait pour penser à tout. Ainsi, qui peut prétendre tout savoir d'une personne dont elle ne saisit les pensées qu'à un instant T ? 

Par sa phrase, la chasseuse ne faisait que suggérer inconsciemment à Noémie de penser à cette fameuse adresse. Rubis en était à la première étape de son plan. Pour achever celui-ci avec sérénité, elle devait s'éloigner un bref instant :

― Non mais tu le crois, 32 ans et j'ai déjà un autre trou de mémoire ! Où sont tes toilettes ?

― Mon pauvre Gregor, tu es surmené ! Dans le couloir, seconde porte sur ta gauche.

En réalité, Rubis n'avait pas envie d'aller aux toilettes. Elle savait seulement que les manusia ont cette habitude de papoter entre eux quand ils se font un café. Le problème, c'est qu'elle n'avait pas prévu sur quoi portaient ces détails qui justifiaient sa venue. 

Rubis marcha tranquillement vers les toilettes tout en riant en chœur avec Noémie. Une fois dedans, elle attendit de percevoir à distance le mouvement de sa consœur se dirigeant vers la table. Le temps que Rubis ressorte de son échappatoire improvisée, Noémie s'était assise sur son canapé et avait posé les deux cafés devant elles. Rubis s'assit à son tour et déclara :

― Oui, donc je te disais que j'avais deux ou trois détails à régler.

― Ouais. Dis-moi...

― Changement de programme pour toi, tu ne viens plus avec nous !

― Arrête, tu n'es pas drôle Gregor !

Ne retenant plus son rire narquois, Rubis reprit sa véritable apparence devant Noémie qui n'eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Le démon envoya aussitôt un violent coup de poing dans la tête de sa proie. Rubis étant parfaitement entraînée au combat, il ne fallut qu'une dizaine de secondes à notre sœur pour immobiliser Noémie en la plaquant sur le canapé. 

Désormais au-dessus de cette dernière avec son genou placé sur son coup suffisamment fort pour la forcer à rester couchée, notre sœur lui tenait les poignets avec son bras tout en emprisonnant ses jambes avec les siennes. La panyakulit déchiqueta avec ses dents une substance argileuse mise de côté la veille qu'elle versa grâce à sa seule main de libre dans le café. Attrapant la tasse avec précipitation, le démon colla presque la tasse de café encore brûlante dans la bouche de sa proie. Pur réflexe physiologique, Noémie avala une gorgée de café en se demandant si ce n'était pas le choc cumulé du coup de poing et de la transformation radicale de son ami en fille qui lui causait une hallucination gustative.

Rubis songea à tuer sur-le-champ cet insecte d'humain mais sa raison lui cria de rester prudente. Une fois sa victime endormie, elle prit son apparence pour attaquer la seconde partie de son plan.