Mon calme après la tempête (partie 1)

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Il y a de la fiction partout où je vais. Des choses que je m'imagine, que je tiens pour vrai, que j'aimerais toucher ou ressentir, des scénarios qui ne se réaliseront jamais, des personnes que j'idéalise mais que je suis loin de connaître dans la vraie vie. Et puis, il y a des gens sympas mais irréalistes. Ceux que je préfère. Car ils ne sont pas effrayés à l'idée de croire à l'impossible, de se sentir ridicules face aux autres, qui eux, n'y ont jamais cru. Je fais partie de ces gens là. De la pure science-fiction entre les lignes qui couvrent les pages dorées de mes souvenirs les plus chers, de ces moments passés avec moi-même, avec la personne que j'étais autrefois mais, pour autant, cela ne signifie pas que je raconte des histoires. Ma sensibilité excentrique me fait parfois réciter des choses absurdes, des propos grotesques qui pourraient paraître imagés mais je vous assure avoir ressenti jusqu'à la moindre tâche d'encre de ce que j'ai écrit jusqu'ici. Quand quelqu'un pointera le soleil en train de briller, je répondrais que mes pieds à moi étaient complètement gelés par le froid et que la violence du vent m'empêchait de respirer. A d'autres moments, je remercie le ciel de l'attention que je porte à tous ces petits détails encore invisibles aux autres qui me propulsent dans une autre dimension pleine de ressources et de chaleur.

Je suis tombée raide dingue de ce mec dès l'instant où je l'ai vu. Il se tenait dans l'encadrement de la porte qui donnait sur la cuisine, moi, je réchauffais un plat de la veille, les cheveux emmêlés, encore fiévreuse du week end que je venais de passer. Il s'est ensuite approché et m'a murmuré un bonjour silencieux encore vêtu de son blouson multicolore. Mais ce n'est pas ce que j'ai entendu. Aime moi. C'est ce que criaient ses yeux. Incapable de répondre quoi que ce soit, j'ai souri et continué ce que j'étais en train de faire en essayant de trouver un moyen d'échapper à cette situation. Prendre l'air. La raison me demandait de fuir, une nouvelle fois. J'enfilai mon pantalon en cuir préféré, mes bottes, ma veste oversize à la main et je courrai vers la sortie. Dans l'ascenseur, j'étouffais, me retrouvant face à mon propre reflet. La petite fille apeurée par l'intensité de ses émotions était de retour. Je marchais sans savoir où aller, parce que je n'avais nulle part où aller mais il faisait froid et je me sentais mieux à la maison. Je rentrais plus tard dans la soirée, les yeux rouges, encore bouleversée et prétextait des maux de ventre pour m'éclipser sans avoir à l'affronter une deuxième fois.

La part de rationalité me réconfortait mais cette fois, l'alarme intuitive me demandait de lui obéir les yeux fermés. S'appuyer sur l'intuition, c'est s'appuyer sur rien du tout, allez-vous me dire. Et vous aurez peut-être raison. Mais comment expliquer que la femme soit pleinement une femme que lorsqu'elle ne joue? Cette incertitude qui me nourrit et qui m'empêche de deviner clairement ce qu'il m'est donnée, ce que mon partenaire de jeu s'apprête à faire et les prochains coups qu'il compte réaliser. J'en crève à chaque fois de ne pas savoir, de devoir anticiper, de relier le point A par un point B parce que c'est plus simple comme ça. La décision la plus rationnelle dans une situation de totale incertitude. C'est ce que je me préparais à faire. Et malgré mon manque de connaissance en ce qui concerne les mathématiques, il ne faut pas être intelligent pour comprendre que la théorie des jeux ne peut se répandre si nous ne sommes pas en mesure de définir ces propres règles. 

Ce soir-là, rien ne fût calculé. Et je ne regrette en rien ce qu'il s'est passé malgré la fin injuste qui m'attendait. Deux minutes plus tard j'étais accoudée à une voiture noire et j'écoutais ses récits de voyages en fumant une cigarette. Elle avait le goût de liberté, une saveur dont j'avais oublié la fragilité. Sa douceur renvoyait presque l'urgence d'être secoué dans tous les sens, d'être troublé bien qu'il paraissait dominer ces choses là, ces choses qu'on ne contrôle pas. Et son rire, si froid et piquant reflétait le paradoxe tout entier dont il faisait les frais. L'excès de confiance en soi sans réussir à apprendre à s'aimer pour de vrai. Il était là, détendu dans son siège et moi je croisais et décroisais les jambes pour ne pas qu'il aperçoive ma gêne d'être trop à l'aise aux côtés d'un homme que je ne connaissais pas. 

J'essayai donc d'apprendre à mieux le connaître. Si bien que j'en oubliais mes deux amis qui discutaient juste devant nous. On partageait les mêmes centres d'intérêt, des opinions politiques communes, on avait suivi le même cursus à la fac et ce qui lui restait de ses souvenirs en Grèce me donnait l'envie de franchir le pas. Ce désir de m'envoler dans un pays étranger pour avancer, y rencontrer de nouvelles personnes et me retrouver, seule, confortée à l'idée d'apprécier ma propre compagnie. J'ignore si c'est ce qu'il me disait que je trouvais si intéressant ou sa façon de manier les mots, de les manipuler avec élégance. Comme s'il parlait une langue étrangère dont je saisissais tout le sens. On arriva à bon port puis il s'inquiéta de savoir si je n'avais pas trop froid. Pourtant mes joues avaient gardé leur teint rosé et une vague de chaleur s'empara de moi au moment d'entrer à l'intérieur de la salle de jeu. Et il remarqua que les gens normaux ne frissonnaient pas comme je venais de le faire. Mais les gens normaux, c'est quoi ?

Après quelques bières et deux parties de billard, je me laissais séduire par l'ambiance agréable de cette soirée si banale. Je me sentais revivre, comme si un bain de soleil tapissait mon visage en plein milieu de la nuit. Un shot d'expresso après une longue d'insomnie. Pleine de bonnes énergies et d'enthousiasme à l'idée de commencer une aventure sans savoir où elle se finira. Un poil joueuse et une spontanéité qui rendait les choses excitantes puisque j'ignorais encore où je mettais les pieds. On se jetait des regards de temps à autre en faisant semblant de regarder ailleurs, on se cherchait éperdument sans le montrer mais sans se cacher. Et les Beatles qui me rappelaient de ne pas avoir peur de ce que je ressentais.

Hey Jude, don't make it bad

Take a sad song and make it better

Remember to let her into your heart

Then you can start to make it better

High StandardsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant