Des cris résonnèrent dans le château.
Esol protestait, rageait, pleurait presque d'angoisse. Il refusait la défaite, il n'acceptait pas la venue d'un traître de l'Est pour lui rire au nez et danser sur son cadavre.
Lorne tentait de le rassurer, de défaire ses illusions, mais en vain. Esol y était embourbé, et à ce point, son second savait qu'il était pour le mieux de le laisser revenir seul sur terre. Cela faisait un bon moment qu'il ne savait plus comment gérer ses crises.Alors il se rassit, le visage entre les mains, essayant de lutter contre les maux de tête qui affluaient dès que le roi haussait la voix. Il était à peine réveillé, et voilà déjà qu'il désirait se rendormir pour faire taire la douleur lancinante dans ses tempes. Esol ne s'aperçut de rien, trop enterré dans ses hallucinations. Lorne était certain qu'il s'imaginait sur un champ de bataille, poignardé dans le dos par l'entièreté d'un peuple qui ne voulait que sa peau, que son titre, que son trône. Il ne différenciait plus réalité et fiction, car à ses yeux, une armée se dirigeait depuis des mois vers son château pour en découdre.
Jamais il ne lui était venu à l'esprit qu'il pourrait se méprendre, que le roi de l'Est voulait son rétablissement et uniquement cela. Mais comment croire qu'on lui voulait du bien, lorsqu'il pensait ne pas aller mal ?
— Sire.
Esol n'entendit rien. Il faisait les cent pas dans le bureau de son second, à marmonner des mots presque inaudibles, sans grand sens d'un point de vue extérieur. Lorne distingua des menaces, mais il en avait suffisamment l'habitude pour savoir que le roi n'en exécuterait aucune. L'arrivant de l'Est, en revanche, le prendrait peut-être au mot. Il ne le dit pas pour ne pas alarmer davantage le roi, mais il redoutait profondément que ce ne soient ses derniers jours de règne. Lorsque leur visiteur constaterait le réel état mental d'Esol, il ne manquerait pas de le détailler dans un rapport à Andor qui achèverait de désister le roi de l'Ouest aux yeux de la loi.
Andor récupèrerait son hémisphère. Esol irait sans doute mourir dans sa folie, persuadé qu'il avait perdu la guerre qu'il jouait seul. Lorne se retrouverait sans but, esseulé. Le seul point positif à ce scénario se trouvait en la faveur des Polariens. Ils auraient enfin un royaume stable, et pourraient prospérer à nouveau sans subir les tensions d'un gouvernement mort dans l'œuf.
— Sire.
Il le dit plus fort, mais cela ne suffit pas.
Esol commençait à trier des choses sur son bureau, à ouvrir les tiroirs pour en sortir divers papiers dont il n'avait pas le moindre intérêt. Il ne se rendait sans doute plus compte du lieu où il se trouvait, à cet instant. Lorne ne se leva même pas pour l'arrêter dans ses actions, il n'en avait pas la force. Son cerveau allait imploser à force de trop penser, ses oreilles saigner de subir le vacarme du roi.— Sire.
Un ton au-dessus, mais ce n'était toujours pas assez.
Lorne releva la tête, fixa intensément le roi pour projeter son dernier mot directement dans sa direction.— Esol !
Celui-ci fit son effet.
Le silence s'installa dans la pièce, tandis que les deux hommes se regardaient.
Dans les yeux d'Esol dansaient rage et incompréhension.
Dans ceux de Lorne suppliaient pitié et abandon.— Vous devriez…
Lorne soupira. Il laissait encore un instrument réguler les sentiments du roi, tout bonnement parce que lui, son second, en était incapable. Il aurait dû en être capable, pourtant. Il aurait dû être meilleur, parce qu'Esol méritait mieux.
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Fallen
Fantasy✈︎ Tome 1 : Le roi déchu. ✈︎ Esol Priam gouverne la moitié Ouest de Polaris depuis bientôt sept ans. Mais en quelques mois seulement, sa santé décline et le monde commence à le surnommer fou. Il est pourtant persuadé d'être le seul homme clairvo...