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Esol ne revit pas Jihal de la matinée. Pourtant, on ne put dire qu'il ne le chercha pas.
Le roi erra dans les couloirs des heures durant, les yeux hagards, se mouvant comme un papillon à qui on aurait brûlé une aile. Tout se brouillait autour de lui. Les salles dans lesquelles il entrait lui devenaient étrangères, les portes closes qu'il forçait de tout son être prenaient une forme disproportionnée par rapport à son corps minuscule. Il s'était fait de nombreuses ecchymoses, à force de lutter contre une serrure qui ne cèderait pas à ses avances.

Il aurait dû le croiser, ce n'était pas normal. Il n'avait fait que le chercher, scruter chaque pièce, même celles où il n'entrait plus depuis longtemps. Impossible pour lui de trouver Lorne non plus. Il se mit à craindre le pire, et entra dans un état second inquiétant. Plus rien ne lui paraissait réel, chaque personne ou objet qu'il croisait prenait une forme d'ombre menaçante qui s'étirait autour de lui pour l'envelopper, le dévorer.

Il se rappela avoir jeté un vase dont il avait jugé le visage mauvais. L'objet de porcelaine s'était heurté au mur du couloir et avait simplement explosé en une centaine de morceaux. Avec l'intensité du choc, Esol en avait senti quelques uns lui déchirer la peau des jambes et du bras gauche.

Ce fut ce qui le ramena à ses esprits. Soudain, il comprit qu'il ne réalisait plus ce qui se trouvait réellement autour de lui, et qu'il pouvait se mettre en danger, ou pire, mettre en danger autrui.
Exactement comme sa mère.

Cette pensée lui glaça le sang. Il ne finirait pas comme elle, il se l'était promis. La pauvre femme avait subi un sort qui ne dépendait pas de sa personne, et Esol refusait de laisser une quelconque maladie inconnue le tuer. Personne n'avait jamais saisi ce à quoi la reine avait succombé, mais tous s'accordaient à dire que son fils y passerait aussi. Esol prouverait l'inverse.

Il entreprit de cacher les débris du vase derrière un rideau en entendant quelqu'un arriver au loin, et se promit d'y revenir dès que possible pour les nettoyer.

Puis il se souvint qu'il était bientôt l'heure de manger, que sa recherche désespérée avait occupé sa matinée. Il décida de se rendre dans la salle à manger, et d'attendre patiemment le retour de Jihal, ainsi que l'arrivée de Lorne.

Il s'assit dans son fauteuil, devant un couvert déjà mis en place, et patienta. Les minutes se firent assez longues pour le laisser divaguer à nouveau. Il avait besoin de voir un visage familier. Il n'en avait croisé que des atroces, ce matin. Il avait besoin de Lorne, de son calme, de son aura qui était bien la seule à toujours parvenir à le rassurer. Il entrait petit à petit dans une colère noire, qui s'intensifiait avec les secondes. Le pire, c’était qu’il ne savait plus dire ce qui l’avait tant énervé en premier lieu.

Lorsque Lorne passa la porte de la pièce, tout sourire, cette rage implosa.

Esol se leva de sa chaise, la fit tomber au passage, se rua vers son second et…
… changea de direction à l'ultime seconde pour empoigner Jihal par le col.

Il plaqua le second de l'Est contre le mur, et le sourire de Lorne laissa échapper un cri de surprise.

— Esol ?!

Son appel ne servit à rien. Le roi fixait Jihal droit dans les yeux, regard empreint d'agressivité à laquelle l'homme qu'il tenait fermement répondit d'yeux adoucis. Plus Esol resserrait son emprise, plus les perles émeraude qui le sondaient se teintaient de bienveillance.

— Vous comptez me tuer ?

Esol ne se laissa déstabiliser par rien de cela. Il aurait aimé que Jihal soit également fait de porcelaine, qu'il puisse le jeter contre un mur et le voir tomber en minuscules pièces détachées. A cet instant, il ne désirait qu'une chose par-dessus tout. Entendre son souffle disparaître entre ses mains, voir ses yeux se fermer, arrêter de le scruter avec cette pitié mal dissimulée, sentir son corps s'alourdir alors qu'il se laissait aller à l'état de cadavre.

FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant