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Une cinquantaine de visages se tournèrent vers le roi au son des portes du château. Celui-ci ne se démonta pas, il préféra prendre le parti d’assumer son allure malgré le fait qu’elle ne représentait en rien ce qu’il aurait désiré être à cet instant.
Fort heureusement pour lui, Lorne vint à sa rencontre et le soutint inconsciemment dans sa démarche.

— Elle vous va toujours aussi bien, Sire. C’est étrange de vous voir vêtu de la sorte.

Esol haussa les épaules, en parfait enfant qui prétendait que tout le laissait indifférent.

— Vous essayez seulement de me faire plaisir.

— Faux, il vous offre ses yeux pour vous voir.

Jihal venait d’apparaître derrière l’autre second, lui aussi paré d’une tenue de combat. Il portait les couleurs azur et or de l’Ouest, et cette vision troubla le roi. Pendant un instant, il s'imagina le retourner contre Andor et le rallier définitivement à sa cause. Le jeune homme se trouvait déjà être enclin à le croire, et l’affaire des roses l’avait convaincu que quelque chose clochait à l’Est. Mais il était ridicule de penser qu’un jour il trahirait jusqu’à celui qu’il considérait comme un frère pour les beaux yeux d’Esol.

Pourtant, ce que ces couleurs lui allaient bien.

— Vous êtes tous les deux flatteurs, mais ça ne prend pas. Elle n’est plus taillée pour moi. Je doute presque que la couronne puisse encore m’aller.

— Ne soyez pas ridicule, votre tête n’a pas enflée. Nous savons tous que ça commence par les chevilles, poursuivit Jihal avec un clin d’œil.

Esol secoua la tête. Jihal jouait l’enfant pour ne pas penser, il se demanda d’ailleurs s’il ne s’agissait pas d’un rempart contre ce qui l’effrayait. Quoi qu’il en fût, il était presque inquiétant que son comportement ne change jamais. De ce fait, personne ne pouvait savoir dans quel état d’esprit il se trouvait réellement. Peut-être que lui-même ne le savait pas.

—Vous voudrez sans doute leur parler un instant, avant de prendre la route, proposa Lorne en désignant la petite foule de la tête. Ils en ont besoin.

Esol acquiesça en silence. Son cerveau s’activa vivement, ses sens s’éveillèrent au maximum de leurs capacités, et très vite, des ébauches de phrases s’étendirent en lui. Il ne sut pourtant laquelle choisir, laquelle serait la plus appropriée pour un homme qui avait cousu sa propre bouche si longtemps. Comme si le pouvoir qui était auparavant en lui l’avait quitté, il resta muet un moment, le cœur battant et l’esprit vagabond. Les jambes lourdes, il s’avança pourtant au centre du groupe qui se tourna petit à petit vers lui, de plus en plus silencieusement.

Il attrapa machinalement le bras de son second pour une demande simple mais indispensable, celle de l’accompagner. Il n’aurait jamais pu régner seul ces sept dernières années, et encore aujourd’hui, il en serait bien incapable. Il le savait pertinemment, sans l’admettre de vive voix.

Lorne se plaça donc auprès de lui et très vite, leurs armures s’unirent dans une même démarche, dans un son de ferraille qui, loin d’être agréable à l’oreille, l’était tout particulièrement pour ceux présents qui l’écoutaient chanter à nouveau.
Plus en retrait, Jihal profitait de la mélodie qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’entendre, le sourire aux lèvres, dans l’expectative de ce qui venait ensuite.

— Quand vous êtes prêt, souffla Lorne à l’oreille de son roi, confiant dans toute son appréhension.

Esol hésitait toujours, cherchant une bouée supplémentaire à laquelle s’accrocher pour ne pas couler, et enfin ne pas dériver. Ses yeux se promenaient de visage en visage, mais aucun ne le rassurait parmi eux. Les sourcils étaient parfois froncés, les expressions faciales souvent indéchiffrables, les lèvres pincées ou même ouvertes sur un bâillement ou deux.
Un ennui impénétrable pesait sur le château, et si ce n’était pas la première fois que le roi le percevait, le fait qu’il l’affecte personnellement était nouveau.

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