Esol prit une grande inspiration, suivie d'une expiration plus profonde et saccadée encore.
Il tendit ses bras, plia ses doigts tremblants d'appréhension, comme à leur habitude.
Il lui fallait du temps, juste un peu de temps.Le temps d'une seconde respiration, toute aussi subtile et tendue que la première. Le temps d'un souffle odeur menthe porté sur l'instrument.
Il apposa ses doigts sur les cordes, fit l'expérience d'un ultime doute, abandonna toute pensée.Puis, de sa main gauche, il tira sur l'une d'entre elles. Le son qu'elle produisit n'eut pas le temps de résonner pleinement dans la salle que déjà, deux nouveaux doigts jouaient avec les fils tendus.
Bien vite, une mélodie prit place, la place du doute. Tout s'envola, tout disparut. Plus rien ne comptait dans l'esprit d'Esol, plus rien ne parlait si ce n'était la musique.La harpe lui parlait, lui chuchotait ses envies, ses espoirs et ses pulsions. Elle criait de désir, frémissait de plaisir.
Sa poitrine collait l'instrument avec une légèreté doublée de passion. Elle se mouvait en harmonie avec lui, écoutant ses paroles, jouant sur ses notes. Ses doigts ne tremblaient plus, leur souplesse contrastait naturellement avec la dureté des fils blancs.
De deux objets, deux sujets distincts, on n'en découvrait plus qu'un seul. Un seul homme, une seule figure, une unique mélodie. Criante de fantaisie, de douceur, de charme. Recouverte d'une atmosphère emplie de chaleur.
Esol était une flamme. Rougeoyante d'amour, brûlante de peine, ravageuse de cœurs.Mais il était aussi l'océan. Terrifiant de profondeur, glacial d'air, suffocant de désespoir.
Et sa symphonie avalait tous ces ressentis pour les recracher à qui voulait l'entendre, qui souhaitait la comprendre. Elle disait tout de lui, elle le poussait nu sur la scène. Et c'était le seul instant où se dévoiler ne le remplissait pas d'appréhension.Sa harpe était pour lui une parfaite représentation de son esprit emmêlé. De ses fils, elle le lissait, y tissait ses liens, et éclaircissait son monde. Sans elle, il aurait sombré dans une profonde instabilité dont il ne pourrait s'échapper. Sans elle, il aurait fini fou comme les rumeurs le chantaient, comme sa mère l'était devenue.
Sa réputation n'était plus à faire, et s'il parvenait encore à tenir droit sur son trône, c'était uniquement grâce à son instrument.
Ses doigts glissèrent sur six nouvelles cordes simultanément, et l'enchaînement de sons devint de plus en plus sombre, profond à mesure qu'Esol retraçait ses souvenirs.
Car chaque fil tendu le rappelait systématiquement à une part de sa mémoire, à un événement dont il se rappelait dans ses moindres détails uniquement grâce à son association à la musique.Six cordes, pour six années de règne. Sire Esol Priam.
Il en effleura une septième. Bientôt.Il courut sur les différentes sonorités, chacune fit remonter ses jours sur le trône. Voilà presque sept ans qu'il dirigeait l'hémisphère Ouest de Polaris, et bientôt un an qu'il ne contrôlait même plus son propre esprit aux yeux des gens.
Un son se tordit, laid, incompréhensible et monstrueux au milieu de tous les autres.
Il toucha la corde sensible, le chapeau du fou qui avait pris la place d'une couronne sur la tête d'Esol.Il ne doutait plus, lorsqu'il effleura cette note. Lui seul connaissait la menace cachée derrière ce triste surnom qui entachait sa réputation. Elle portait le nom d'Andor Odell, un homme de sa puissance qui se faisait appeler son allié.
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Fallen
Fantasy✈︎ Tome 1 : Le roi déchu. ✈︎ Esol Priam gouverne la moitié Ouest de Polaris depuis bientôt sept ans. Mais en quelques mois seulement, sa santé décline et le monde commence à le surnommer fou. Il est pourtant persuadé d'être le seul homme clairvo...