Fallen

18 ♕︎

Denae se replaça sur ses appuis, les talons fermement enfoncés dans le sol terreux de la cour d’entraînement. Elle serra le manche de son épée dans sa main gauche, tandis que sa main droite était posée fermement sur l’intérieur de son coude pour stabiliser son mouvement. Elle enchaînait les positions de défense, quelques attaques qu’elle jugeait bien placée selon son expérience, pour finir avec des esquives de l’ennemi invisible qui l’attaquait. Elle voulait se préparer au mieux, car elle avait entendu dire que son véritable entraînement commencerait bientôt, puisque le roi avait décidé de rapatrier tout un groupe de jeunes recrues pour se battre directement au château.

Finalement, elle préférait se former où elle vivait plutôt que de remonter sur un cheval chaque jour pour aller en ville. Là-bas, elle n’avait que des souvenirs de vols et d’agressions dont elle ne cessait de se rappeler chaque fois qu’elle marchait parmi le peuple de pauvres bourges de la capitale. Seulement, de ce qu’elle savait, les apprentis d’Alioth ne faisaient pas partie des plus vaillants de l’Ouest. Parmi eux, elle aurait peut-être pu se démarquer, montrer une valeur atypique en laquelle elle voulait croire, elle devait croire. Parmi la troupe d’élite qui arriverait sous peu au château, elle ne serait jamais rien de plus qu’un insecte, l’incrustation qui pourrit une harmonie parfaite.

Elle se servit du mannequin de paille pour asséner des coups puissants à l’épée. Lorsqu’elle se retrouva à bout de souffle, épuisée par le poids d’une arme qui ne lui correspondait pas, elle lâcha ce qu’elle tenait pour sortir une lame de sa botte. Le roi lui avait donné ces chaussures comme cadeau de bienvenue, et sans doute aussi de pardon pour l’avoir bernée lors de leur rencontre. Le poignard en main, satisfaite de la vitesse à laquelle elle l’avait sorti de sa cachette, Denae cisailla le faux visage de la poupée géante de toutes parts. Les bouts de paille volèrent tout autour d’elle, mais elle ne sut s’arrêter.

Une lame étrangère à la sienne siffla près de son oreille pour se ficher en plein milieu de la tête du mannequin, la stoppant net dans son élan de fougue.

— Comptais-tu le battre ? fit une voix, grave et ferme.

Denae se retourna, sous le choc. Elle serra son poignard encore plus fort, appréhendant l’ennemi. La personne qu’elle vit en face, sur le terrain de combat, n’avait en rien l’air d’un ennemi. Plutôt d’un supérieur, quelqu’un devant qui ployer.

— Alors ?

La question précédente attendait une réponse que la jeune femme n’était pas apte à donner.

— C’est une poupée à taille humaine. Il n’y a rien à battre.

— Alors quoi ? Que faisais-tu ?

Denae fronça les sourcils et croisa les bras, sur la défensive.

— Je m’entraînais ?

— Est-ce une question ?

— Tu en poses bien trop à mon goût, en tout cas !

— Insolente. Voyons donc comment tu te bats contre quelqu’un qui peut se défendre.

La plus jeune ne comprenait pas qui était la femme devant elle, ni même pourquoi elle lui semblait si familière. Elle avait l’air dur, les yeux brillants et sombres, plus sombres que la nuit. Elle imitait sa propre position, les bras croisés sur sa poitrine tandis qu’elle la jugeait, non, l’analysait de la tête aux pieds. Elle avait sur le visage l’expression de celle qui déterminait à quelle sauce elle allait dévorer son repas.
Et le repas n’était autre que Denae.

Cette dernière tenta d’échapper à une situation qui ne semblait pas tourner en sa faveur. Elle qui espérait, en venant ici avant l’aube, trouver un terrain vide et la solitude nécessaire pour se forger, elle était vraiment mal tombée.