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Trente hommes pénétrèrent les bois dans une concentration doublée d’un calme nécessaire.
La plupart d’entre eux avançaient la main agrippée au pommeau de leur épée, ou bien vissée sur le manche de leur poignard.

Un sentier était dessiné entre les arbres, mais il ne se voyait quasiment plus depuis sa création il y avait sûrement de ça plusieurs siècles. Beaucoup de convois y avaient circulé, effaçant peu à peu le tracé de graviers dont il ne restait qu’une ébauche.

Le roi Priam, en tête de la troupe et soutenu par les seconds Dyrne et Anhli, fit signe aux soldats de rester groupés en rangs de trois comme convenu si l’espace s’avérait impraticable autrement.

L’atmosphère n’attendit pas que le groupe ait parcouru dix mètres dans les bois pour s’alourdir. L’air devint difficilement respirable, comme pollué par un mal profond et inhumain qui les surpassait tous. Chaque inspiration qu’Esol prenait le laissait penser qu’elle serait sa dernière tant il avait la sensation d’avaler les pires substances que le Polarien avait pu créer.

Quant aux arbres, leur épais feuillage ainsi que leur hauteur vertigineuse expliquèrent d’un coup d’œil l’insonorisation qui avait empêché aux soldats hors des lieux d’entendre quoique ce soit. L’intérieur de cette minuscule forêt semblait vraiment être dans une bulle à part du reste du monde. Ce décalage expliquait également l’absence d’animaux ou même d’une quelconque vie hormis des fougères et chardons qui formaient une désagréable couche d’un vert terne tout autour de la troupe.

Chacun se félicita de porter des jambières lorsqu’il s’agit de traverser ces plantes piquantes qui auraient lacéré leur peau sans souci. Et cet obstacle devint de plus en plus récurrent à mesure qu’ils s’enfonçaient sur un sentier désormais invisible sans se pencher pour le sentir. Ceux qui marchaient en tête faisaient de leur mieux pour dégager à grands coups de pieds ce qui en gênait la vue, mais ils vinrent abîmer l’état déjà déplorable des graviers qu’il restait. Très vite, ils se contentèrent de tâter du talon le sol pour deviner la route à suivre plutôt que de la ruiner davantage.

Aucun bruit ou visuel distinctif ne se présenta à eux après une vingtaine de minutes de marche durant lesquelles chaque visage était tourné tantôt vers le sol, tantôt le ciel, pour analyser la moindre chose qui serait hors du commun dans ces bois déjà atypiques.
Esol commença à se demander s’ils n’avaient pas dépassé le centre après tout ce temps, puisque le sentier ne prenait normalement pas plus de trente minutes à traverser d’un bout à l’autre, et ce à faible allure. Ses doutes furent partagés aux deux seconds, qui confirmèrent sa pensée d’un regard suspicieux.

Quelque chose leur tomberait bientôt dessus, à défaut de tomber eux-mêmes sur le moindre signe de vie. Il leur restait encore à deviner ce que ce serait avant de se faire surprendre par un piège minutieusement installé par ceux qui les guettaient certainement depuis leur entrée.

L’imagination du roi n’eut pas le temps de travailler davantage qu’il s’arrêta net dans sa progression à l’orée de ce qui s’avéra être le véritable cœur des bois.
Ainsi que le cœur du massacre.

Les deux caravanes qui composaient auparavant le convoi gisaient au centre du chemin, l’une renversée sur le côté et l’autre encore sur ses roues, mais éventrée en son centre par un trou béant donnant sur un vide déconcertant. Tout avait été volé, pas le moindre bracelet ou l’infime boucle d’oreille ne subsistait au trésor que devaient contenir les coffres.

Mais là n’était pas le pire. Esol eut le souffle coupé en constatant l’étendue des pertes.
Tout autour des véhicules, parfois même sur leurs toits, s’étendaient les corps des marchands qui accompagnaient le convoi dans son parcours. Les chevaux avaient eux aussi vite succombé à l’attaque des plus sanglantes qu’avaient subi leurs propriétaires, à en juger par les traces équivoques sur leurs flancs. Pour ce qui était des blessures humaines, elles n’avaient été portées ni dans la propreté, ni dans la douceur. On constatait çà et là des tentatives de défense sur quelques vaillants, qu’on distinguait des autres victimes par l’étendue de leurs séquelles.

FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant