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Les amis sont partis maintenant. Il y a quelques instants j'ai, pour la dernière fois, refermé la porte sur l'un d'eux.

Dans l'air, il y a encore les rires, les voix, la musique de la soirée. L'un est arrivé tout tristounet et est reparti en riant aux éclats. J'ai même dû le faire taire car les voisins "se lèvent tôt, eux : ils travaillent, eux".

Une autre est arrivée euphorique mais bien vite ce maquillage dans sa tête a fondu dans mon épaule : son dernier amour venait de la quitter. Elle sait qu'elle peut tout me dire, que rien ne me choque. Je suis un peu son confident, moi qui ne vis pas les mêmes amours qu'elle .

-Mais avec toi, c'est pas pareil ! me dit-elle.

C'est vrai avec moi c'est différent. Je sens qu'avec moi les autres ont une attitude différente. Certains baissent la voix à mon passage, d'autres cessent de simuler l'équilibre quand je suis là.

Je ressens les douleurs, les tristesses et les déchirures, au-delà des sourires, par delà les façades.

-Toi, tu comprends, n'est-ce pas?

Moi avec qui on se laisse aller, moi à qui on ne cache rien, moi celui qui n'est pas d'ici, celui qui ne vit pas comme vous.

J'apprécie particulièrement ces petites soirées où, ayant invité deux ou trois personnes, on déguste tranquillement le dîner que j'ai préparé l'après-midi. Passe le temps et les langues goûtent, parlent, savourent, murmurent et se délient. Une musique au fond nous donne quelques repères pour se laisser aller.

Nous ne refaisons pas le monde. Nous parlons de nos vies, de nos amours, de nos envies, de nos souvenirs. Pour certains, ils sont communs. Alors, ils s'isolent dans leur passé et nous, pauvres spectateurs, - qui n'avons pas vécu ça- "ne pouvons pas comprendre".

L'actualité nous réunit ou alors un film à la télé. La vidéo aussi nous vient en aide quand les mots sont muets et les visages fatigués.

Souvent, je joue les disc-jockeys en privilégiant d'abord l'un et puis l'autre et aussi un peu moi qui "ai des goûts bizarres".

Enfin, un petit café pour la pause.

-Du lait? Du sucre? Vous venez si rarement je ne sais plus?

-Qui veux du thé?

-....

Certains vont repartir après le café, vont me promettre de me rappeler et ce sera encore moi qui le ferai avant eux.

Julie restera et me parlera de lui, de "son absent", de celui qui vient de la quitter. Je lui prêterai mon pull qu'elle adore et elle s'endormira doucement dans le divan. J'enlèverai délicatement mon bras, je la couvrirai d'une couette, je l'embrasserai sur le front et j'irai dans ma chambre.

Ce soir je dormirai encore seul. Personne ne viendra plus. Je m'endormirai les yeux rougis. Mais demain c'est samedi.

L'odeur du café m'a réveillé. Il y a quelques minutes, des bruits de verres et d'assiettes sont arrivés jusqu'ici.

En caleçon rayé et T-shirt chiffonné, j'ai rejoint Julie dans la cuisine qui faisait la vaisselle.

-Salut!, dit-elle, grognon.

-Salut!

-T'aurais pu me réveiller.

-Qui? Moi? Mais il est quelle heure?

-Midi et demie. Ça fait une heure qu'il s'est envolé.

-Eh, je viens à peine de me réveiller.

-Bon c'est pas grave. Enfin si, un peu. Tu veux du café, je viens de le faire

Les cahiers de JulieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant