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Quelques mois plus tard, Mathilde me demanda de lui parler de Julie. Elle pensait peut-être que je la connaissais beaucoup. Je sortis alors les cahiers qu'elle m'avait confiés dans un geste prémonitoire, voulant éviter à sa fille ce qu'elle avait vécu : ne pas connaître sa mère. Mathilde parcourut les dessins et c'est vrai qu'elle rit. Elle pleura aussi. Elle me demanda de lui lire quelques passages.

—Lequel ?

—Prends un comme ça et ouvre au hasard.

"Mes yeux s'étaient habitués à l'obscurité. La lumière trop fragile en apparence, ne peut rien face à l'ombre. Cependant, elle ne cesse jamais son combat et si nous voulons bien être patients elle nous apparaîtra et nous baignera le visage."

—Un autre !

"Je la connaissais à peine et elle me prenait déjà pour son confident. Je ne me rendais pas compte non plus de cette stratégie consistant à me mettre dans la dite confidence, à me parler comme à un frère afin de ne pas commettre l'inceste."

—Je comprends rien !

"Quand elle me raconta tout cela, nous nous rapprochions sans nous en rendre compte. Le froid et la nuit nous aidaient un peu. Sa tête lasse s'est penchée et reposée sur mon épaule, je lui ai pris la main. Nous sommes restés quelques minutes comme cela un peu étonnés de ce qu'il nous arrivait. Le problème de l'avenir ne se posait pas à ce moment-là. Rien autour de nous ne nous importait non plus. Isolés et protégés de tout au milieu de quelque part, rien ne pouvait nous arriver. Après nos lèvres se sont frôlées, se cherchant timidement. Le baiser s'est prolongé. Cette minute a duré des heures. »

Mathilde sourit.

"Elle voulait garder son esprit libre pour pouvoir, l'accueillir, lui, tout entière. Que ses pensées soient dégagées pour qu'il puisse s'y lover sans peine. Quelques nuages, quelques soucis encore dans la tête ; le soleil attendait discrètement, il arriverait ce soir."

Mathilde soupira.

"Elle s'offrit un disque, elle acheta le journal ; quelques pièces pour un saxo ; quelques achats pour le repas du soir. Elle patienta à la file d'un distributeur de billets et courut pour ne pas manquer le bus."

—Là, elle s'est pas foulée.

"Ils savaient qu'un soir ils seraient tous les deux et que le lendemain ils seraient trois. Il faudrait alors se pousser pour faire de la place pour tous. Julie et Walter vont se préparer à créer ce petit espace à côté d'eux pour que le bébé le trouve facilement en arrivant ; pour qu'il se sache attendu. Cette place, c'est la chambre à préparer ; cette présence à venir, c'est un prénom qui la définisse mais aussi une petite galerie à creuser dans la tête pour y déposer au début les pensées menues que l'on a : suis-je prêt pour un enfant ? , comment sera-t-il ?"

—Elle parle de qui ?

On poursuivit la lecture des cahiers, plus tard, dans l'ordre.

Et il y avait encore plusieurs cahiers comme ça. Julie avait fait comme le lui avait proposé son père : y écrire ce qu'elle voulait, ce qui lui passait par la tête, quand elle serait triste ou gaie. Des petites phrases, sur ce qu'elle pensait ou espérait ou des histoires pour s'amuser ou s'inventer la vie que l'on aurait voulue. En se basant sur la sienne, de vie, sur celle des autres et avec son imagination, elle avait noirci ces cahiers qui pouvaient lui sauver la vie comme le lui avait dit son père et, —comme elle ne comprit pas alors ce qu'il voulait dire—, plus tard le comprendrait-elle, lui avait-il dit aussi.

Mathilde les a gardés, les cahiers.

Les cahiers de JulieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant