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Je suis née il y a quelques jours. Maintenant, je dors. Je repense à toute cette agitation autour de moi. Le réveil en pleine nuit, le taxi, la civière et puis très vite la lumière, les voix, l'eau chaude, la peau de ma maman à l'extérieur. Au matin, tout fut plus calme. On put se reposer tous les trois. C'est vers l'après-midi qu'une autre agitation commença. Des femmes piaillant en me regardant, des enfants aux yeux écarquillés un temps et qui veulent me prendre dans les bras ensuite ; des vieux messieurs dont je n'ai jamais entendu les voix.

Entre-temps, il y a eu un moment de calme : le papa de maman. Il était souvent là. Il dormait sur un fauteuil. Quand de gens arrivaient, il se levait, attendait un peu, embrassait maman, lui promettait de revenir le lendemain mais était là trois-quarts d'heures après. Il épiait les départs. Alors quand maman dormait, il me prenait et se promenait avec moi dans les couloirs. Il s'asseyait. Une main sous ma tête, une autre dans le bas du dos, il me tenait face à lui. J'étais bien comme ça. Il me parlait normalement sans bruits avec les lèvres ni en passant la langue comme je faisais. Il savait, lui, que même avec les mouvements de mes bras, de mes yeux, de mon visage, je pouvais aussi lui dire quelque chose. Il écoutait, lui, ces gestes, ces attitudes, ces regards. Par là, il me laissait des blancs entres ses phrases pour que je lui réponde à ma manière. Mon grand-père d'une voix très basse, me disait des poèmes ou me fredonnait des airs tristes, toujours les mêmes. Je bougeais la tête pour mieux l'entendre, pour mieux l'écouter. Je m'endormais doucement. Il me gardait quelque peu encore dans les bras et puis il me remettait dans le berceau. Je remuais un peu : j'avais perdu sa chaleur mais j'étais tellement endormie que je ne me réveillais pas. On remontait sur moi une couverture jusqu'aux épaules. J'avais ainsi l'illusion qu'il était encore là. J'entendais encore sa voix : il parlait à Maman ou chantait encore pour moi. Lorsqu'on est revenu à la maison, il y avait encore plus de monde. Je ne me rappelle pas d'un tel va-et-vient avant. Maman n'a pas l'air de s'y habituer non plus. Le soir, elle s'assoit dans le canapé en soupirant. Elle s'assoupit un peu. Je voudrais ne pas la réveiller mais je ne peux pas faire autrement. Je ne suis pas bien maintenant. Mon corps est chaud et moite. C'est désagréable. J'ai un peu faim aussi et mon odeur me dégoûte. Alors, je l'appelle, je pleure malgré moi. Elle vient me chercher. Elle semble avoir récupéré toute son énergie grâce à mes larmes. Plus question de fatigue ni de mauvaise humeur. Elle me prend comme ça telle que je suis : lourde de fatigue et de pleurs ; pesante de chaleurs et de langes mouillés.

La salle de bain est bleutée et tiède. Maman me déshabille en me parlant de sa journée, de papa qui est déjà parti, des invités. Elle s'arrête un peu, je lui réponds. Elle me reprend dans les bras. L'eau coule doucement, régulièrement. C'est tranquille. Je fais la planche dans sa tiédeur. Maman me regarde. Je lui souris. Elle me verse de l'eau sur le ventre. Ça me chatouille. Je ris. Elle me savonne lentement chaque partie de mon corps. Elle fait attention aux yeux. Ça sent bon. C'est gai. bon, je sais que je vais encore rester un petit peu mais pas longtemps : l'eau refroidit. Maman va me sécher, m'ouater, me crémer, me changer, m'habiller et me parfumer les cheveux. Ensuite, dans ma chambre, où elle aura baissé le store, allumé une petite lampe recouverte d'une gaze verte, elle me nourrira d'elle. Le lait apaisera ma faim, sa chaleur m'endormira et la peau de Maman me rassurera de sa présence.

Les cahiers de JulieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant