L'Après

(2) Où elle fête son anniversaire.

Aujourd'hui, ma Lou fête ses trente et un ans. Juste après m'avoir annoncé la grossesse, elle m'avait fait jurer de ne pas lui organiser de fête surprise. Trop difficile de cacher qu'elle ne pouvait pas boire d'alcool, trop difficile de cacher la vérité tout court à ses meilleures amies, les 3C : Caroline, Charlotte, Capucine. Par chance, le calendrier s'y prête bien : son anniversaire tombe en semaine. Le dimanche précédent nous avions le fameux pique-nique organisé par Colin et prévu depuis des lustres, et le week-end suivant, nous partons en voyage de noces. Nous avons donc décidé que nous ferions un combo en août, grande annonce, crémaillère et anniversaire.

Mais pas question que son jour n'en soit qu'un comme les autres. Je lui ai quand même organisé une petite surprise, une journée dans un spa haut de gamme en Allemagne, le seul à proposer des soins particuliers pour les femmes enceintes.

Depuis mon agression, j'ai un peu de mal avec les piscines qui me rappellent les longs mois passés au centre de rééducation, et puis, j'ai horreur me retrouver en maillot de bain devant des inconnus. Au centre, c'était différent, on était tous esquintés, on en riait même, on faisait des concours du plus abîmé, de la plus longue cicatrice, du plus grand nombre d'agrafes. On se moquait, pour ne pas pleurer sur notre sort. Mais en dehors de ce microcosme, c'est différent et difficile pour moi. En maillot, je me sens mis à nu, à la merci des regards qui détaillent sans discrétion les cicatrices des coups de couteau qui marquent mon ventre, la longue zébrure le long de ma cuisse qui accompagne ma canne. Il y a les compatissants, qui m'adressent un sourire navré, le pauvre, il a dû avoir un sacré accident. Les curieux, qui se demandent ce que j'ai pu faire pour me retrouver si salement balafré. Ceux qui plissent le nez, quel dommage, sans ces vilaines cicatrices il aurait peut-être été pas trop mal foutu ce mec. Je les déteste. Je les déteste tous. Et je déteste leur regard sur ma femme qui me donne la main, qui marche la tête haute, toujours, en évitant ces yeux inquisiteurs, parce qu'au fond, ça lui fait trop mal. Parce que malgré tous ses efforts pour tenir la culpabilité éloignée, une part d'elle se sentira toujours responsable de ces blessures. Alors aujourd'hui, dans ce cadre luxueux, je nous épargne cela et me cache dans un peignoir, malgré la chaleur, comme l'homme pudique que je n'avais jamais été.

Lou est bien en peine aussi.

— J'ai l'air d'une actrice porno, gémit-elle dans sa cabine en fermant le haut de son maillot tant bien que mal.

Elle sort avec une grimace et en effet, je me retiens de rire devant son bikini à la limite de la décence. Nous allons faire tache parmi la clientèle. Elle s'enroule à son tour dans le peignoir. Au moins, si on se perd, on n'aura pas de mal à se retrouver, nous sommes les deux seuls ainsi accoutrés.

— Ce n'est pas trop désagréable, ton maillot serré comme ça ?

—  À ton avis ? Mais ce n'est pas grave, pour un lieu pareil, et une telle journée, je veux bien souffrir un peu. C'est magnifique, Tom.

— Non, c'est nul, c'était une mauvaise idée. J'aurais mieux fait de privatiser un petit institut, on aurait pu se balader tout nus, soufflé-je à son oreille.

Elle glousse avant de prendre la direction des douches, mais je l'arrête en attrapant son poignet et l'attire près de moi.

— Tu es superbe. Comme toujours.

Elle me sourit, et dénoue la ceinture de mon peignoir. Ses mains caressent doucement mon abdomen meurtri, puis elle se hisse sur la pointe des pieds pour effleurer mes lèvres, et plante son regard dans le mien.

— Toi aussi.

Bains bouillants, piscines d'eau chaude et salée, repas gastronomique, repos dans le patio ombragé, massages, soin du visage. Le luxe pour ma femme épuisée qui s'endort à côté de moi, vidée, alors que je conduis pour rentrer.