L'Après

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Plus jeune, je ne croyais pas au coup de foudre. Peut-être parce que j'avais été élevé dans une certaine forme de rigueur, et que, chez mes parents, tout était lisse et sous contrôle, y compris ce qui pouvait se rapporter à n'importe quelle forme d'amour. Et un jour, quelques rangs derrière moi, dans un amphi rempli d'étudiants, j'ai croisé le regard gris de ta maman. Et je suis tombé éperdument amoureux d'elle. Un peu plus de treize ans après, je suis retombé amoureux d'une autre fille, au même regard. Toi.

La grossesse n'a pas toujours été facile, ta naissance non plus, crois-moi (d'ailleurs, je te le dis en passant, ta maman est une femme incroyable, mais ça, tu t'en rendras vite compte). Mais je crois qu'à l'instant même où ta maman t'a saisie pour te poser sur elle, au moment où tu as ouvert les yeux, on a tout oublié. Une nouvelle vie commençait. Le monde d'après. Celui où tu faisais de nous une famille.

Ceci est la première lettre que je t'écris ma chérie, ma Sasha, mon petit amour, mais il y en aura d'autres. Pour que tu grandisses sans aucun doute sur l'amour infini que l'on te porte, ta maman et moi, depuis ton premier soupir. On se connaît à peine tous les deux, mais je peux déjà te dire que tu es merveilleuse.

Je t'aime, my little ant*. Grâce à toi, je suis devenu un papa, et à cet instant, tu as fait de moi, le plus heureux des hommes.

Je t'embrasse, sur chacun de tes dix petits orteils parfaits (oui, je les ai comptés, quelle question ! )

Love XXX

Papa

*Private joke, on t'expliquera.



Je m'y étais préparé. J'avais lu mille bouquins, mille articles dans les magazines, consulté des tas de sites et de blogs spécialisés dans la grossesse et l'accouchement. Je fais même partie d'un groupe Facebook consacré au sujet. Je connais tout du périnée, du bouchon muqueux, du placenta, et du déroulé de l'accouchement. On a eu les séances de préparation avec la sage-femme aussi, et j'en ai parlé avec les copains déjà papas. J'avais l'impression que rien ne pourrait me surprendre. Mais, tout ça, c'est de la théorie. Le savoir, ce n'est pas comme le vivre. Dans les faits, j'ai compris que quelle que soit la préparation, on ne peut rien maîtriser. Et ensuite, c'est une déferlante. Un tsunami. 

L'angoisse déjà, face à la souffrance de ma femme, de ma Lou si forte pourtant, mais vidée de toute énergie, ivre de fatigue et de douleur. Puis sa panique, quand elle a compris qu'elle devrait gérer seule, jusqu'au bout. Et elle a géré, putain, elle a fucking géré. Ces instants où elle luttait contre son corps, pour faire sortir notre fille, quand son souffle et sa force vibraient dans mon propre ventre. Quand elle s'est penchée pour attraper ce petit être minuscule et gluant, et pourtant, la plus belle chose que je n'ai jamais vue. Je crois que, durant quelques secondes, mon cœur s'est arrêté de battre. C'était trop. Trop fort, trop brut, trop beau. Trop d'émotions.

Très vite, quelques minutes après la naissance de Sasha, on nous l'a reprise pour les soins et les tests, et on m'a fait sortir. Lou n'avait pas fini tout le boulot, c'était l'heure de la délivrance. L'expulsion du placenta, sous la surveillance de l'obstétricien, à cause de la thalassémie. Je me suis retrouvé comme un imbécile à patienter dans le couloir, mais un imbécile heureux. J'avais envie d'embrasser tout le monde, mais personne, dans ceux que j'ai croisé, n'a semblé séduit par l'idée.

Une aide-soignante est venue me chercher, m'a installé dans une pièce pleine de petites tables d'examen et de couveuses. La seconde sage-femme, pas Yasmina, l'autre, la petite rousse, est arrivée avec ma fille dans les bras, et m'a proposé de faire du peau à peau. Ravi, j'ai vite retiré ma blouse en papier et mon tee-shirt, et tant pis pour les cicatrices, je crois que je n'y ai même pas pensé. Elle a délicatement déposé mon bébé juste vêtu d'une couche contre mon torse, avant de nous recouvrir d'une couverture. Je crois que juste après le premier baiser de celle qui est devenue ma femme, c'est la sensation la plus douce, la plus exquise que je n'ai jamais ressenti. Une petite vie contre moi. Une sorte de plénitude, de béatitude. L'impression d'être complet.

L'AprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant