(3) Où il(s) dépasse(nt) les bornes.

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Nous sommes rentrés depuis cinq jours. Personnellement, je suis encore sur un nuage, passant l'essentiel de mon temps à regarder les photos du séjour, échanger des mails avec mon nouvel ami Joseph, faire des recherches sur les différentes manières d'organiser notre prochaine escapade en Afrique. Lou, quant à elle, après avoir passé la journée du retour à dormir, a repris sa vie comme elle l'avait laissée. J'admire sa faculté à cloisonner, même si, en même temps, je trouve cela un peu triste, un peu terre-à terre. Enfin, il faut bien que l'un d'entre nous soit raccroché à la réalité. Elle était ravie de retrouver sa librairie, ses clients, ses amis. Elle n'est pas faite pour cette vie-là. C'est vrai, si en 2010 elle m'avait suivie, elle aurait vite été malheureuse. Elle aime son quotidien et a besoin de lui. Même quand les contractions se font de plus en plus rapprochées, et qu'elle oublie de m'en parler. Sauf que je vois la barre sur son front, je la vois prendre des bains chaque jour, elle qui n'en prenait que deux par an avant, je la vois gober en douce ses petits cachets roses. Je l'interroge bien sûr, mais elle ne cesse de m'assurer que c'est normal. Je consulte des blogs de grossesse qui restent vagues. Intensité, fréquence, je n'en sais rien. Ces indications sont faites pour les futures mamans, comme si cela ne concernait pas les hommes.

Ce jeudi, nous profitons du jour de congé de Lou pour paresser, et, installés sur le canapé, je lui masse les pieds, tenant la promesse faite quatre ans auparavant. Je rêvasse tandis que Lou feuillette un magazine. Je ne sais même pas quel était le fil de ma pensée, pourquoi ces mots sortent de ma bouche à ce moment-là.

—  Il va falloir que l'on pense à trouver quelqu'un pour te remplacer, quand même.

Lou relève la tête de son cosmo, l'air étonné.

—  Me remplacer où ?

—  Ben... à la librairie.

—  Pour quoi faire ? On a Lola, elle s'en est très bien tirée pendant notre voyage.

Je me redresse sur le canapé et dévisage ma femme. J'ai la sensation qu'on ne parle pas de la même chose.

—  On est partis dix jours, là on parle de quatre mois de congé maternité, ça n'a rien à voir ! Elle ne peut pas s'en sortir seule, surtout le samedi, et...

—  Ecoute, Tom, j'y ai pas mal réfléchi, me coupe Lou d'une voix hésitante. Elle se redresse, elle aussi et pose ses pieds sur le canapé. Je me disais qu'en s'organisant bien, on arriverait à gérer...

Je croise les bras et fronce les sourcils. Ça ne me plaît pas du tout.

—  A gérer ? je répète. À gérer quoi ?

—  Eh bien, si je fais attention, ce n'est pas un travail très fatigant. Je pourrais peut-être travailler jusqu'à la naissance, et ensuite y retourner avec le bébé quand il sera né.

—  C'est une blague ?

—  Ou sans, si tu le gardes...

—  Lou, tu te moques de moi ?

—  Ce serait plus simple... explique-t-elle faiblement.

Elle ose à peine me regarder, preuve qu'elle sait très bien ce que je pense de son idée. Je déglutis, m'exhorte au calme. Je sens la colère monter, mon cœur cogner plus fort dans ma poitrine. C'est très, très rare que je me fâche. Encore plus avec Lou. Mais là, elle dépasse les bornes.

—  Tu ne veux pas prendre de congé maternité ? demandé-je le plus calmement possible, en me levant.

J'ai beau essayer d'y mettre les formes, ma voix vibre de rage contenue. Elle se râcle la gorge.

—  Non, pas forcément...

—  Je vais sortir, et aller prendre l'air, parce que sinon, on va se disputer, et je ne veux pas te dire des choses que je vais regretter. Mais franchement, Lou, je ne te comprends pas, là.

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