(5) Où elle arrive.

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Nous remontons fissa à l'appartement, et Tom rassemble mes affaires en suivant scrupuleusement la liste pendant que je me change et que j'enfile une tenue plus confortable. Ma première impression est la bonne, le liquide amniotique goutte doucement, mais sans discontinuer. Sur le trajet du centre-ville à chez nous, nous avons appelé le numéro d'urgence qui nous a confirmé qu'il fallait venir sans trop tarder. L'accouchement n'est pas forcément imminent, mais le bébé n'est plus protégé contre les infections, je devrai rester à l'hôpital jusqu'à la naissance. J'ai quelques contractions, mais pas plus qu'avant, ni régulières et ni douloureuses. Nous prenons tout de même le temps de dîner, notre dernier repas à deux avant un petit moment. Mon amoureux allume même des bougies, même si nous avalons notre assiette en un quart d'heure, avant de partir.

— Tu te rends compte que la prochaine fois que je passerai la porte de cet appartement, nous serons trois ? demandé-je à Tom, au moment de sortir. Quand on reviendra, notre vie ne sera plus jamais la même.

Tom ne répond pas. Il sourit, prend mon visage dans ses mains, et m'embrasse. Puis, il se penche sur mon ventre, murmure très bas quelques mots en anglais à notre fille, si bas que je ne comprends rien, puis il se redresse, et, sa canne dans une main, les sacs dans l'autre, nous quittons notre appartement.

Il ne nous faut pas plus de quinze minutes pour arriver à la maternité. Nous sonnons aux urgences obstétricales et sommes directement pris en charge par une sage-femme qui m'installe dans une salle d'examen. Je n'ai pas mal, comme je le répète toutes les cinq minutes à mon mari, mais je me sens bizarre, dans un état second. J'ai du mal à croire que nous y sommes, que dans quelques heures nous aurons notre bébé, notre fille, dans les bras. Tom n'est pas dans son état normal non plus, oscillant entre inquiétude, excitation et euphorie.

La sage-femme commence par vérifier, à l'aide d'une bandelette de PH, qu'il s'agit bien d'une fissure de la poche des eaux, puis, une fois le diagnostic confirmé, consulte mon dossier, que j'ai apporté avec moi, me pose quelques questions sur la thalassémie. Hormis le diabète, je n'ai pas eu de problème lié à la maladie durant ma grossesse, et n'ai eu à subir aucun examen supplémentaire, ni transfusion, ni traitement chélateur de fer. Elle prend ma tension, mon pouls, palpe mon ventre, puis effectue l'examen clinique pour vérifier l'ouverture du col avant de me poser un monitoring.

— Un centimètre... le travail n'a pas encore vraiment commencé. Ça ne va pas être pour tout de suite, constate-t-elle.

S'en suit un contrôle des urines et du liquide amniotique, ainsi qu'un bilan infectieux. La praticienne m'explique que si le travail ne se met pas en route dans les douze prochaines heures, il faudra que je prenne un traitement antibiotique préventif. Et s'il n'y a toujours rien de plus, je serai déclenchée dans 24 à 48 heures. Ce n'est pas du tout ce que j'avais prévu : je ne me vois pas rester deux jours ici, à attendre d'avoir enfin des contractions, surtout pas après avoir passé plus de deux mois à les redouter.

— On va vous faire monter en chambre. Essayez de bien vous reposer cette nuit, la prochaine pourrait être plus mouvementée. Monsieur, vous pouvez rentrer chez vous.

— Mais...

— Gardez votre portable près de vous, on vous appellera tout de suite s'il y a du changement. Et sinon, vous pouvez revenir à partir de sept heures, directement en maternité.

Tom a l'air malheureux comme les pierres, mais pas le choix, et lui aussi doit se reposer ; ce serait ridicule de passer la nuit sur une chaise alors que je dors à côté de lui.

Il m'accompagne avec la sage-femme qui nous a accueilli jusqu'à ma chambre, et de désagréables frissons me traversent l'échinent quand je passe dans le couloir. Les souvenirs d'hôpitaux, quand il était dans le coma. Lui ne s'en rend pas compte, trop occupé à bouder. Cela fait des mois qu'on n'a pas passé une nuit séparée, et le moment n'est pas le mieux choisi, alors qu'à cet instant, nous avons tant besoin l'un de l'autre, tant besoin d'être ensemble.

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