Premières notes ; musicalité

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– Les heures de cours passèrent et avec mes magnifique chaussons d'occasion, je continuais mon apprentissage. Après avoir appris beaucoup de pas, de bases, ma professeure commença à nous sensibiliser à l'appel de la musique. Elle nous apprit à fermer les yeux, à écouter les notes et surtout, à savoir les comprendre.

– Ma foi, très abstrait comme concept.

– Je t'apprendrai, un jour.

– Avec plaisir.

– Et donc, après avoir passé parfois une demi-heure à écouter Tchaïkovski ou encore Bach, je me sentais différente. Je continuais le cours avec les yeux fermés, ou juste en regardant fixement le miroir. Je me sentais autre. Tu sais ce moment où tu te rends compte que dans une mélodie, chaque note a une place spéciale, qu'elles ne sont pas lâchées au hasard sur la partition.

– Je ne sais pas, mais je te crois.

– Chaque note envoie ton corps vers un certain mouvement et t'inspire toute une histoire. Quand tu danses, tu narres. Quand tu te mouves, tu racontes. Incipit, élément perturbateur, péripéties, dénouement, tout y passe. La danse est un livre dont les mots sont la mélodie sinueuse du musicien torturé.

– Tu m'impressionnes.

– Et tu n'as encore rien vu, Arlert.

– Vas-y, émerveille-moi.

– Dans ces cours, je pense que j'étais une des meilleures pour ressentir la musique. J'avais l'impression de les notes me parlaient, qu'elles m'appelaient pour les exprimer. Je devais retranscrire leur message à l'aide de mon corps. Donc pour compléter ma métaphore, la danse est le livre, la mélodie représente les mots et la plume ne peut être que notre corps.

– Le corps est le plus grand outil du danseur.

– Évidemment. Sans lui, nous ne sommes rien. Danse comme si tu expliquais au public ton histoire. Chaque lecteur doit pouvoir comprendre ton récit sans forcer et la musique en est la clef.

– Le danseur est un traducteur au final, non ?

– Absolument. Les notes parlent, les accords s'expriment, même les silences appellent un danseur. Tout est créateur de mouvements, d'histoires, de sentiments. Armin, ressens-tu quelque chose face à une mélodie de piano ?

– Je n'en sais trop rien.

– Concentre-toi.

– Hum, parfois oui, enfin je crois. Il arrive que les mélodies me mettent comme dans une autre dimension, me fassent ressentir une autre émotion que celle que je possédais avant d'allumer la musique.

– C'est exactement ce que je voulais entendre. Tu es sensible à la musique, Armin. Tu peux comprendre ce que je dis. Tu peux visualiser ce moment où tout disparaît autour de toi et tu es seul avec ton livre à écrire. Les pages vierges se remplissent au rythme des do, des ré, des mi. Plus rien ne semble pouvoir te déranger, tu es juste là, faisant ton métier de traducteur avec passion.

– Comme quoi, ton prénom te représente bien.

– Demande à mon père pourquoi un mélange entre « passion » et « danse » lui a semblé être une bonne idée de prénom.

– Il savait ce que tu allais devenir.

– Et alors, qu'est-ce que je suis devenue ?

– Une traductrice capable de changer des formes sur des feuilles en mouvements puis en émotions.

❀ AVERSION | 𝗮. 𝗮𝗿𝗺𝗶𝗻Où les histoires vivent. Découvrez maintenant