Quand un démon s'y joint

Histoire (1)

- L'héritage-

Je ne croyais pas vraiment à l'existence des démons, fantômes et encore autre esprits maléfiques. Pour moi ce n'était que des histoires à dormir debout et pour faire peur aux gens afin de les extorquer plus facilement. En tout il me faut de la logique, et rien, absolument rien ne marche s'il n'y a une bonne dose de rationalité, après, tout le reste n'est que farfelue. Et c'est ainsi que je me retrouvais aujourd'hui devant cette vielle bicoque. Mon héritage.

Aucun membre sensé de la famille ne voulait de cette maison. Il n'y avait que moi, la toquée comme se plaisait à m'appeler les autres qui y voyais une bonne opportunité. Et franchement s'en était une. Nouvellement diplômée, mon seul fond disponible a été employé pour le lancement de ma boite, et il ne me restait quasiment rien, quelque sou a la rigueur rien que pour quelques meubles pour une maison. La chance ! Celle-ci était toute trouvée.

Du style Gingerbread, c'était une vielle maison de deux étages avec un grenier, de taille respectable, a vingt kilomètres au Nord de la ville du Cap, elle s'élevait à pic sur la cote. C'était une antiquité de l'époque coloniale, mon grand-père lui- même l'a reçu toute neuve de son aïeul, et déjà à cette époque on la disait hantée. Qu'elle fût neuve ne signifiait pas qu'elle n'était pas hantée. Au temps pour moi ! Ce n'était autre que la maison de mon enfance. Et de surcroit un patrimoine architectural.

Techniquement, les maisons Gingerbread qui se rencontre dans les constructions en Haïti pendant le 1er quart du 20em siècle sont généralement construites en bois. Ce patrimoine architectural spécifique à Haïti s'inscrit cependant dans des mouvements architecturaux internationaux : héritier de l'éclectisme du 19em siècle, proche des tendances architecturales régionalistes en Europe, notamment dans l'architecture balnéaire et thermale en France, en Suisse et en Belgique. Il évoque par ailleurs certains aspects du victorien que l'on retrouve sous diverses formes dans la caraïbe.

Gingerbread, en anglais signifie pain d'épice. Et pour pain et épice du temps de mon enfance c'en était le royaume. Un flot de souvenir me montait d'un coup à la tête. L'odeur enivrante du pain de ma grand-mère m'accostait la gorge, les épices de tout genre de ma mère m'emplissaient le cerveau et moi petite fille espiègle qui se cachait sous la table qui prenait tout ce qui me passait sous la main pour me mettre dans la bouche. Même le plus simple petit morceau de biscuit avait un gout exquis. Une larme coulait le long de mes joues sans que je m'y rende compte. Regardant autour de moi, une forte émotion m'éteignit.

Je m'y revoyais il y a 20ans comme si c'était hier. A l'époque il n'y avait ni ville ni village. Le voisin le plus proche était un vieux américain, qui ne comprenait une traite de mots français et encore moins de créole, que mes frères et moi s'amusaient à faire des tours pendables. Il avait un vieux chien borgne, o combien rapide, qui nous poursuivait à chaque fois manquant de peu de nous décapiter. Chaque fois c'était la même chose et on riait encore plus des visages déconfits et du vieux et du chien. Mais notre père nous interdisait formellement d'y mettre les pieds. Dieu sait à quels rituels il se livrait seul à la maison avec son chien. Mais quel enfant en pleine croissance écoute son père ! Enfin, Jusqu'au jour de l'accident. Du sang, des cris, des pleurs... des images floues que je ne saisissais pas vraiment le sens flashaient dans ma tête. J'eu un long frisson froid le long de la nuque.

A la rivière du temps, je voyais défiler mes souvenirs comme autant de zombies lors d'un rara rocambolesque. Au son du Tam-Tam lointain du tambour voguant au-delà des mers. Comme ces pieds nus sur le sol aride et ces corps dénudés sous le chaud soleil tropical aspirant a un peu de fraicheur local soupirant vers un corps doux et un peu de grog dur. Les souvenirs venus d'un ailleurs aussi proche que lointain, aussi douloureux qu'apaisant. Tangibles, ils étaient mais encore plus qu'insaisissables. Larmes aux yeux, sourires aux lèvres, en étant sur la rive des souvenirs je les regardais défiler tantôt flous tantôt d'une extraordinaire clarté. Apres tout, ce n'était que des souvenirs.