Chapitre 1

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En ce jour de décembre, nombreuses étaient les personnes descendues dans la rue pour profiter de cette douce soirée qui commençait. Les néons lumineux étaient accrochés au-dessus des devantures de magasin, ils comportaient tous le même message : Joyeux Noël ou bien Bonne Année ! Leurs couleurs vives donnaient un certain charme à la ville une fois le soleil couché.

Des adolescents fumaient leurs cigarettes en cachette de leurs parents. Des amis qui jouaient distraitement aux bornes d'arcade à l'extérieur de certains commerces. Des petites filles qui profitaient naïvement de la douceur de leur barbe à papa ou encore des étudiants qui travaillaient encore leurs cours tout en dévorant un immense hamburger. Tout le monde était de sortie, tout le monde profitait à sa manière.

Une petite fête foraine s'était installée depuis quelques jours en ville, il y avait toute sorte d'activité, pour les petits et les grands. Les montagnes russes étaient au goût de tout le monde mais, l'attraction qui avait conquis les cœurs n'était autre que la grande roue. Arrivé au sommet de la montée, depuis l'une des cabines colorées, les participants se trouvaient face à une vue qui leur coupait littéralement le souffle.

La ville de Concord – capitale de l'état du New-Hampshire – était encore en pleine effervescence, les lumières coloraient l'horizon et les personnes – présentes dans la rue – étaient aussi petites que des fourmis. La neige se mit alors à tomber doucement sur eux, donnant ainsi un air encore plus féérique à ce tableau qui ravissait leurs yeux.

A l'écart de cette animation, dans une des ruelles sombres, un adolescent titubait. Il marchait difficilement, il prenait appuie sur les murs pour avancer, laissant derrière lui une trainée de sang qui témoignait de son passage. Après plusieurs minutes à avancer dans le noir, il tomba sur l'une des rues principales où il s'engouffra sans attendre.

Les jambes tremblantes, il se mit à marcher tout droit, comme s'il suivait une ligne bien précise tracée au sol, il ne s'éloigna pas une seule fois de son chemin. Il bouscula plusieurs personnes pour passer mais, en voyant l'état dans lequel il se trouvait, aucun d'entre eux n'osa dire quoi que ce soit.

Sa tête enfuie dans la capuche de sa veste, il continua d'avancer en cognant ses épaules contre celle de nombreux passant. Peu à peu, il commença à se faire remarquer par les personnes marchant en sens inverse de lui si bien que, intrigués, inquiets, ils firent quelques pas sur le côté pour le laisser passer sans avoir à le toucher.

« Excusez-moi. » Dit-il en direction d'un groupe de fille.

« Mon dieu... » Lâcha l'une d'entre elle, les yeux écarquillés.

« Je suis désolé mais est-ce que je pourrais vous emprunter votre téléphone ? »

« Désolé. » Marmonna une autre avant d'entrainer ses copines plus loin.

Le visage tourné vers le sol, il traina des pieds jusqu'à un homme qui, casque sur les oreilles, tenta en vain de l'éviter. Il se décala à son tour d'un pas pour lui bloquer le passage.

« Excusez-moi, est-ce que je pourrais vous emprunter votre téléphone ? J'ai perdu le miens. »

« Désolé... Je... Je n'ai plus de batterie. »

Glissant nerveusement ses mains ensanglantées sur son uniforme, il laissa sur son pantalon une nouvelle trace qui fit parfaitement apparaitre l'emplacement de ses doigts. Il hocha doucement la tête en direction de l'homme qui semblait très clairement mal à l'aise puis il reprit son avancé sans se retrouver.

Marchant à nouveau la tête baissée vers le sol, les évènements de la journée lui revinrent sans cesse en mémoire. Il revoyait chaque minute de son après-midi comme s'il était simple spectateur d'un film.

Ses pieds talonnaient le sol à un rythme régulier, il traversa la foule qui devint silencieuse à son approche. Les femmes s'écartèrent, la mine horrifiée. Les parents couvrirent aussi vite que possible les yeux de leurs enfants avant de les prendre dans leurs bras pour s'en aller plus loin. Les adolescents sortirent leur téléphone pour le filmer tandis que la plupart des adultes le suivirent du regard, le fixant comme s'il était une bombe sur le point d'exploser en pleine rue.

Arrivant à un passage piéton, il ne fit pas le moins du monde attention au pictogramme représentant un bonhomme rouge. Un petit groupe s'était arrêté juste avant la route, attendant que la couleur change pour s'y aventurer mais lui ne s'arrêta pas, il traversa la petite bande en bousculant jeunes comme personne âgées pour marteler les rayures blanches sur le sol.

En plein milieu de la route, il eut la subite idée de s'arrêter. Il interrompit ainsi le trafic, s'attirant la colère des automobilistes qui claxonnèrent et l'insultèrent mais lui, il ne les entendit pas. La voix de ses personnes semblait si loin, si faible, qu'il ne s'en préoccupa pas le moins du monde. Il se contenta de lever le visage en direction du ciel pour contempler les étoiles qui commençaient doucement à y apparaitre, laissant au passage quelques flocons de neige se déposer sur son visage recouvert de trace de sang.

Il resta stoïque pendant plusieurs minutes, les voitures l'éblouirent de leurs phares mais aucun conducteur n'osa s'approcher de lui en voyant les gouttes rouges qui tombaient sur la route depuis ses mains. Finalement, il détourna le regard et reprit son trajet, comme si de rien était.

Il savait parfaitement où il devait aller alors il laissa ses jambes l'y mener.

Une fois à destination, il traversa le parking et frôla de près un homme, dont la chevelure brune était en pagaille sur le sommet de son crâne. Il l'ignora royalement, lui et la discussion animée qu'il semblait mener, et, d'un pas lent, il se dirigea vers l'entrée du commissariat.

« Hey ! Petit ! Attends une seconde ! »

Une main s'enroula autour de son poignet, forçant l'adolescent à s'arrêter. Il tourna la tête vers l'homme qui avait finalement posé son téléphone et le fixa avec un regard des plus intriguant. Questionnement. Inquiétude. Malaise. Supplication. Tristesse. Tout était parfaitement lisible dans ses pupilles chocolat.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? C'est... Du sang ? » Lança l'homme en voyant que les traces rougeâtres présentes sur la manche venaient de baver sur ses doigts.

« Non. Ce n'est pas du sang. »

« Moi je crois bien que ça en est. C'est quoi ton nom ? Tu vas à quelle école ? Viens avec moi au poste, on va discuter. »

« Non ! » Fit l'adolescent en reculant de plusieurs pas.

« Je crois que je ferais mieux de t'emmener à l'hôpital. Qu'est-ce qui s'est passé ? Si tu ne me parles pas, je ne pourrais rien faire pour t'aider. »

« Non... Je ne veux pas... C'est compliqué... »

L'adolescent tritura nerveusement le bord de sa manche en jetant un coup d'œil autour de lui. Son regard se posa sur le trottoir en face du commissariat et l'expression de son visage changea soudainement du tout au tout.

Il n'y avait plus de peur, plus d'inquiétude, plus de questionnement. Ses yeux étaient froids, ses traits étaient relâchés. Il n'y avait rien de plus que le vide, l'absence totale d'émotion ce qui provoqua un frisson d'angoisse chez l'homme qui ne put se retenir de faire un pas en arrière, se sentant soudainement en danger.

« J'ai tué quelqu'un. C'est moi qui l'ai tué. »

« Quoi ? »

« Avec ça. » Affirma-t-il en sortant une machette ensanglantée de sa poche de pantalon.

Juge Mills.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant