Chapitre 8

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« Je pense que ça suffira pour l'interview. » Annonça Sidney Glass en inscrivant les dernières informations importantes sur son calepin.

« Oh oui, j'espère ! Ça fait beaucoup non ? » Répondit Albert Spencer, un sourire politiquement correct sur le visage.

Il se retint tout de même de soupirer de soulagement, sa journée avait été tellement longue qu'il n'aurait pu répondre à une seule question de plus – peu importe la personne qui venait à la poser.

Sa journée avait débuté au petit matin, il était arrivé au bureau bien avant que le soleil n'ait commencé à inonder le monde de sa lumière. Une personne sensée aurait plutôt été au chaud dans son lit, à finir sa nuit, mais lui était déjà en train d'entamer son troisième café de la matinée.

Il avait, tout d'abord, commencé par faire un grand tris dans les nouvelles affaires que son service allait devoir traiter. Il aurait très bien pu déposer la pile de document sur le bureau de sa secrétaire mais la jeune femme était enceinte alors il voulait faire en sorte de la ménager autant que possible et puis, de cette manière, il avait une idée bien précise de ce qui se passait au tribunal, même s'il n'était pas constamment présent pour les superviser.

Il avait accordé une attention toute particulière au dossier qui traitait la mort du jeune Devin. Il avait, avec toute l'attention du monde, étudié chaque détail, aussi petit soit-il, que la nouvelle juge associée avait pris le temps d'ajouter au crayon gris. Ne voulant rater aucun élément important, il avait pris tout son temps, énormément de temps mais une telle affaire méritait amplement beaucoup plus de temps pour être menée à terme correctement.

Ensuite, il avait rédigé une réponse parfaite à toutes les questions qui pourrait lui être posé durant sa prochaine émission. Il n'aimait pas être pris de court ni même se retrouver au pied du mur alors il faisait en sorte de toujours avoir un train d'avance sur tous les journalistes. Il épluchait les forums dédiés aux affaires criminels, il accordait une certaine attention aux publications qui parlaient des crimes de mineurs, il relevait absolument toutes les questions que les internautes laissaient en commentaire, qu'elles soient pertinentes ou non, puis il s'arrangeait pour formuler la meilleure réponse possible afin de satisfaire les attentes de tous. Une fois terminé, il n'avait plus qu'à apprendre par cœur la quasi-totalité de ses phrases pour rester dans les bonnes grâces des téléspectateurs.

Pour l'heure du déjeuner, il avait été convié au restaurant par d'autres juges travaillant dans le même tribunal. Ils avaient passé le repas à parler travail, à échanger sur les affaires qui chamboulaient les diverses chambres et bien sûr, Albert Spencer n'avait pas raté l'occasion de faire savoir à ses collègues qu'il mettrait tout en œuvre pour rendre justice à ce pauvre enfant dont il avait oublié le nom. Une fois de plus, il avait réussi à se dresser en héro auprès de ses pairs qui n'avaient cessés de le féliciter pour son courage et son sens de la vérité jusqu'à la fin de leur entretenue.

Son après-midi avait été tout aussi chargée. Il avait eu rendez-vous au centre pénitencier pour mineur où il avait rendez-vous avec un adolescent tout juste inculpé. Pour garder son statut de juge bienveillant, il devait montrer qu'il s'inquiétait pour le bien-être des jeunes criminels même après avoir donné son verdict. Il avait également fait un passage éclair au centre animalier dont il était le parrain, il avait offert quelques caresses aux animaux qui attendaient cruellement d'être choisi par une famille, il avait également fait quelques sourires pour les photos et, avant de partir, il avait veillé à faire une petite donation qui ferait parler de lui.

Alors que le soleil commençait à se coucher dans le ciel, il avait décidé de rentrer chez lui sans prendre la peine de repasser par le tribunal mais Ashley avait contrecarré ses plans en téléphonant. Sydney Glass, le rédacteur en chef du Daily Mirror, était passé pour convenir d'un rendez-vous dans les plus brefs délais mais, du fait de son absence, il avait simplement laissé ses coordonnées.

Sur le trajet pour retrouver sa famille, il avait alors appelé l'homme qui l'avait aussitôt invité pour une interview autour d'un diner. Le Daily Mirror était l'une des presses locales les plus appréciées à Concord alors il ne pouvait clairement pas passer à côté d'un bon article à son sujet. Il avait aussitôt opéré un demi-tour pour rejoindre le restaurant où le journaliste l'attendait déjà de pied ferme avec son calpin et ses questions.

« Je me sens un peu sous pression cher journaliste. » Plaisanta Albert en versant un peu de vin dans les deux verres.

« C'est vraiment gentil de nous accorder du temps malgré votre planning chargé. Vous avez rarement le temps de vous poser alors j'ai voulu prendre soin de vous. » Assura l'homme.

En effet, Sidney n'avait pas lésiné sur les moyens pour mettre le juge en confiance. Il avait pris soin de réserver une salle privée pour qu'ils puissent avoir leur conversation à l'abris des regards mais aussi le plus loin possible des oreilles indiscrètes. Il avait également fait chauffer sa carte en commandant la bouteille de vin la plus chère ainsi que tout un tas de mets plus délicieux les uns que les autres.

Il était du genre à croire en l'adage qui disait qu'une fois les estomacs remplis et la soif étanchée, les langues se délainent plus facilement. Il avait d'ailleurs constaté qu'autour d'un bon repas, les intervenants étaient plus propices à confier des informations importantes, voir des scoops, alors, il avait – une fois de plus – fait en sorte de mettre toute la chance de son côté pour repartir avec une bonne interview à retranscrire sur papier.

« C'est très gentil de votre part. » Assura le magistrat, la main sur la poitrine pour lui faire savoir que ce geste lui allait droit au cœur.

« Vous allez aussi recevoir de bonnes nouvelles. » Lança le journaliste.

« Quelle genre de nouvelle ? »

« J'en ai trop dit, ou pas assez... Bon, allez, je me lance. J'ai eu des échos d'un collègue qui travaille au département politique. Le parti libéral est à le recherche d'un nouveau candidat pour les prochaines élections et votre nom est revenu plusieurs fois dans la conversation. » Confia Sidney avant de continuer : « Vous êtes populaire grâce à votre émission à la télévision et vous avez actuellement la charge d'un très gros procès. Assurez-vous de bien gérer cette affaire et moi, de mon côté, je vais vous organiser un rendez-vous avec le chef du parti. »

Le juge ne sut quoi répondre, il était à la fois excité et profondément inquiet.

Il avait toujours rêvé de se lancer en politique mais, voyant que les attentes étaient trop grandes pour ses frêles épaules de l'époque, il s'était finalement lancé dans le droit pour finir juge. Il ne regrettait pas son choix, ni même sa carrière mais cette opportunité pouvait lui ouvrir de nombreuses portes, portes qui lui permettraient d'accomplir ses ambitions de jeunot.

Il savait que se façonner une bonne image auprès des personnes lambda finirait par lui être utile. Grâce à sa réputation, il avait été repéré parmi une foule de possible concurrent et, à présent, la politique lui ouvrait les bras.

Albert Spencer aimait son travail. Il aimait être utile à la société, il se plaisait dans ce qu'il accomplissait tous les jours. Il se sentait épanoui quand il parvenait à protéger des enfants de leur famille violente et il se sentait pousser des ailes lorsqu'il donnait une peine juste à un jeune criminel. Son métier était vraiment valorisant car, quel que soit l'issus du dossier, il y avait toujours quelqu'un pour lui en être reconnaissant mais voilà, s'il s'autorisait à rêver un peu, il ne se voyait pas faire cela jusqu'à la fin de sa vie.

Il voulait briller sous les feux des projecteurs, il voulait être invité sur plus d'un plateau de télévision, il voulait être un porteur d'idée. Il voulait être celui qui permettrait une retrouvaille entre les votants, quel que soit leur classe social ou leur appartenance politique. Il voulait que son courant de pensé fasse l'unanimité chez tous, il voulait être une figure en qui les gens pourraient avoir confiance. Il voulait rêver et rêver en grand.

Seulement, voilà. Le dossier dont sa chambre était en charge était loin d'être une affaire facile, bien au contraire. Le crime était si horrible que l'intégralité du pays en était révoltée, le monde entier avait les yeux rivés sur lui et il le savait. Le moindre faux pas de sa part, la moindre erreur, pourrait réduire ses projets en cendre.

Il devait s'assurer que la petite nouvelle n'ait pas envie de faire des folies dans le seul but de se faire remarquer, les enjeux étaient bien trop importants pour prendre le risque.

Juge Mills.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant