– CÔME –
C'est le chant des goélands et la lumière du jour qui me tirent du sommeil. La nuit était déjà tombée lorsque nous nous sommes couchés, et contrarié et épuisé, je n'ai absolument pas pensé à fermer les rideaux. Dehors, le soleil monte lentement pour illuminer le ciel, pourtant j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi plongé dans la nuit qu'aujourd'hui.
Je me rappelle la soirée de la veille. Le retour de mon père. Les haussements de voix. Son poing qui se perd sur mon visage. Ma mère qui hurle.
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Sur ma droite, roulée en boule à l'autre extrémité du lit, Céleste dort encore. J'écoute sa respiration, lourde et apaisée, j'observe sa cage thoracique, qui se soulève et s'abaisse, calme, tentant de caler mon souffle sur le sien.
C'est beau, cette capacité qu'a le sommeil de ramener chaque être à son état le plus pur. Sa souffrance, ses souvenirs, rien de tout ça ne transparaît quand elle dort. Rien d'autre que cette part de douceur qu'elle garde bien dissimulée lorsque le jour se lève. Peut-être même malgré elle. Ou bien comme un simple et malheureux réflexe de défense. S'endurcir pour ne plus jamais flancher.
Je l'observe longuement, les bras croisés derrière la tête. J'aimerais étendre le bras, réduire cette distance entre nous et peut-être même lui caresser le dos. Je voudrais que ce simple geste signifie « je suis désolé pour tout ». Mais si, là, j'étendais le bras, et que je l'effleurais de la main, que se passerait-il ? Que se passerait-il si...
Lentement, Céleste se retourne et me fait face, les yeux toujours clos, et s'emmitoufle un peu plus dans la couette.
Que se passerait-il si je décidais de laisser mon cœur me guider ?
Certainement rien de positif.
J'aimerais croire que si. Que je pourrais la sauver du monde et surtout d'elle-même. Mais je ne peux pas. Amélia a raison. On ne peut pas sauver une personne qui refuse de l'être. J'ai les yeux rivés au plafond blanc de notre minuscule chambre d'hôtel.
Et je n'ai rien d'un sauveur. L'hématome au-dessus de mon œil est là pour me le rappeler. Juste un incapable.
— À quoi est-ce que tu penses ? émerge une petite voix enrouée.
Je tourne la tête vers Céleste, qui a le regard posé sur mon visage.
— Au soleil, je mens.
— Il est pourtant pas très...
Sa phrase se perd dans un bâillement si spontané qu'il me fait sourire.
— ... passionnant, reprend-elle.
Je lâche un petit rire. C'est typiquement elle, cette réponse.
— Détrompe-toi.
— Explique-moi ce que tu lui trouves, alors.
Son sérieux me déconcerte. Parfois, cette fille me surprend. Comme le jour où elle a débarqué dans la salle de musique et qu'elle m'a écouté jouer, assise au sol sans rien dire. Comme celui où elle m'a confié ses souvenirs douloureux, ce matin-là dans le parc. Comme hier soir, lorsqu'elle a accepté de me suivre sans savoir où nous allions. Comme aujourd'hui, les yeux encore endormis, désireuse de m'écouter parler du soleil.
J'essaye d'improviser une réponse à moitié philosophique pour l'impressionner, mais au fond je n'ai pas vraiment besoin de réfléchir. Tout coule de source.
— Il est beau le soleil. C'est une belle métaphore du bonheur, je trouve. Il est là, puis il finit par s'en aller, aussi rapidement qu'il était arrivé. Parfois, il te nargue, il est en face de toi, ses rayons t'éblouissent, t'aveuglent, mais sans que ce ne soit vraiment toi qu'il éclaire. Pourtant, ce qui est beau, c'est qu'il finit toujours par revenir. Sa douceur, sa chaleur, il donne une teinte particulière à chaque chose.
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Les astres brilleront toujours
RomanceCéleste est une jeune fille sulfureuse, provocante, mais avant tout joueuse. Son attitude de rebelle effarouchée en repousse plus d'un, mais qui pourrait se douter que derrière son tempérament de feu et son regard de glace, se cache un passé qu'elle...