CHAPITRE 16 - Céleste

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– CÉLESTE –

Ma mère n'est pas là cette nuit. Elle m'a affirmé passer la soirée avec une amie, et je n'ai pas voulu lui demander à laquelle elle faisait référence. Parce que je ne lui connais pas d'amis, et que je doute qu'elle en ait beaucoup.

Il n'y avait pas grand chose dans le frigo, alors j'ai commandé une pizza quatre fromages que j'ai à moitié engloutie devant Coup de foudre à Notting Hill. Je jure que cette comédie romantique est l'une des meilleures au monde et que Julia Roberts et Hugh Grant forment l'un des plus beaux couples à l'écran. Amélia préfère Dirty Dancing et c'est souvent source de dispute lors de nos soirées ensemble. Quelle idée ! Je ne vois vraiment pas ce qu'elle trouve à Patrick Swayze de plus qu'à Hugh Grant. Cet homme a un charisme inégalable à l'écran.

Je suis profondément absorbée par le film lorsque je crois entendre quelques coups frappés à la porte.

Maman doit encore avoir oublié ses clefs...

Je mets le film sur pause au moment de la scène finale, juste avant l'épilogue, alias l'une des scènes les plus importantes de n'importe quelle comédie romantique, et m'extrais du canapé pour aller dans l'entrée, non sans pester contre ma mère.

Je râle en commençant à ouvrir la porte, le regard tourné vers mon écran d'ordinateur, comme si le film allait redémarrer sans moi.

— Tu arrives pile au moment où Julia Roberts allait lui dire...

— Salut, m'interrompt ma mère, d'une voix qui n'est pas la sienne.

Et pour cause... Je lâche immédiatement mon ordinateur du regard pour ouvrir la porte en plus grand et fixer les iris noirs qui m'y attendent.

— Côme ? Mais... Qu'est-ce que tu fais là ?

Pour une surprise, ça c'est une surprise.

— Fais ton sac, on s'en va, lâche-t-il simplement, comme si c'était la chose la plus normale du monde à annoncer.

— Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu voulais partir, non ? T'en aller d'ici et découvrir autre chose ? C'est ce qu'on va faire.

Un rictus moqueur commence à s'étirer sur mes lèvres. Je m'apprête à le taquiner en répliquant qu'il est devenu complètement fou, ou qu'il a dû  fumer  quelque chose de pas très légal pour avoir de telles idées, mais...

Quelque chose cloche. Et mes lèvres se détendent à la seconde. Je cherche dans ses yeux les réponses à mes questions silencieuses et ce n'est qu'à ce moment, dans l'obscurité, que j'aperçois l'hématome boursouflé qui cercle son oeil gauche et tache sa peau brune. Son arcade est gonflée et certains de ses vaisseaux semblent avoir éclaté. Ce n'est pas compliqué de comprendre qu'il n'a pas pu s'infliger ces blessures seul.

— Côme, ton visage... je murmure en m'approchant plus près de lui.

— Ce n'est rien, me coupe-t'il.

Son ton est tranchant. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Aussi sec.

— Je me suis pris un ballon à l'entraînement de hand.

Il ment tellement bien.

En soi, l'excuse pourrait plutôt bien fonctionner. Mais ça ne prend pas avec moi. Pas cette fois. Il n'est pas comme d'habitude. La douceur dans ses yeux... ce soir, je n'en vois plus aucune trace. Il n'y a que a plus que la douleur. Celle que l'on ne voit pas à l'oeil nu. Celle de son âme.

— La dernière fois c'était l'épaule, maintenant le visage, qu'est-ce que ce sera la prochaine fois ? Tu veux vraiment me faire croire que...

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans le fait que je me suis pris un ballon en pleine face ? me coupe-t'il d'un ton tranchant.

Je ne le reconnais pas. Je ne l'ai jamais vu comme ça et cela le fait peur.

— Je pars ce soir, avec ou sans toi. Est-ce que tu viens, oui ou non ?

Je ne comprends pas grand chose à ce qu'il est en train de se passer. Seulement qu'il veut partir – ou peut-être qu'il le doit ? – et qu'il me propose de le suivre. Je pourrais hésiter, réfléchir à tout ce que je laisserais derrière moi en partant, mais le fait est que je ne laisserais pas grand chose. Alors j'acquiesce simplement, sans savoir ce que cela implique. Sans savoir non plus pour combien de temps.

— Il y a un train de nuit qui part dans un peu moins d'une heure. Si on se dépêche, on devrait pouvoir l'attraper.

— Un train qui va où ?

— N'importe où. On s'en fiche, d'où l'on va.

Je hoche la tête, et me précipite dans l'escalier à toute vitesse, rapidement saisie par l'adrénaline. Je voulais partir, découvrir un ailleurs, quel qu'il soit, et c'est ce que Côme m'offre cette nuit. Alors peu importe les raisons qui le poussent à s'en aller aujourd'hui, je veux être de la partie.

Seule une dizaine de minutes me suffit pour rassembler mes affaires dans un petit sac de voyage. Quelques habits de rechange, un gros sweat-shirt et ma trousse de toilette devraient suffire. Je récupère également mon chargeur de téléphone et mes écouteurs en cas de besoin, avant de rejoindre mon – nouvellement – compagnon de voyage au rez-de-chaussée.

— Tu es prête ? me demande-t-il depuis le canapé.

— Fin prête !

L'évolution de mon septicisme de départ, mué  en excitation, semble le surprendre.

Mais, moi aussi, je peux être surprenante, monsieur l'aventurier !

Mon attitude enjouée, inhabituelle en sa présence qui plus est, étire ses lèvres en un léger sourire, et je me sens déjà rassurée.

Une heure et demi plus tard, assis dans le train qui nous emmène à notre destination quelconque, aucun de nous n'a ouvert la bouche depuis notre départ de chez moi. Je n'ai pas envoyé de message à mère, ni laissé de mot sur le frigo. À quoi bon ? C'est à peine si elle remarquera mon absence.

Je suis euphorique. Cette aventure me remplit d'adrénaline, et pourtant, j'ai l'impression d'être en faute. De commettre un délit. J'ai l'impression d été pas avoir le droit d'être là, et qu'à tout moment quelqu'un va nous tomber dessus pour nous ramener de force chez nous. Mais aucun des autres passagers ne semble nous prêter attention. Et personne n'arrive en courant et en hurlant, pour nous sortir du train en marche. C'est seulement mon esprit qui se fait des films. Sans doute parce que ma vie réelle est bien trop fade.

Alors je tourne la tête vers la vitre à ma gauche, et j'observe la lune qui chemine et les étoiles qui semblent s'illuminer sur notre passage. Cela m'a toujours surprise, ces astres qui se tapissent, mais se révèlent la nuit. Ils sont comme ces rencontres. Celles qui attirent la lumière dans vos vies. Et les font briller un peu plus fort.

Les astres brilleront toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant