No easy way - Chapitre 24 - Eliott

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« T'as le souffle court, respire, quand rien n'est facile, respire,
Même si tu te perds, respire, et si tout empire, espère. »
Gaël Faye - Respire

— Photo ! hurla la Valkyrie, s'éloignant de la ligne que nous formions et nous invitant à nous retourner.

Assis sur un rebord qui longeait la plage, chacun pivota pour lui faire face. De l'autre côté de l'eau, le feu d'artifice battait son plein et nous, nous étions là, simplement entre nous, à observer son reflet, à écouter les explosions qui nous parvenaient avec du retard. Le spot n'était pas parfait, notre angle ne nous permettait pas de voir les explosions les plus basses, mais celles qui montaient, elles, étaient parfaitement visibles ! Raphaël nous avait amenés ici par surprise, nous traînant dans la nuit sur un sentier plein de caillou jusqu'à ce que l'on débouche sur cette petite plage bordée par un chemin de randonnée.

— On y verra rien sur ta photo, la lumière est derrière nous ! s'exclama Alix.

— C'est pas vos tronches qui m'intéressent ! le contredit la photographe en tirant la langue, installant prudemment son appareil photo avant de courir vers nous en hurlant : 5 secondes !

Les bières s'envolèrent, Raphaël grimaçant sous les gouttes, et Cillian attrapa le chapeau de paille d'Alix pour le lancer tandis que Sam s'échouait sur nos cuisses dans une position inattendue, type étoile de mer. Le flash nous rendit tous aveugle et je clignai des yeux pour faire disparaître le désagréable point blanc qui s'était incrusté sur ma rétine. J'espérais qu'au moins, le souvenir serait réussi !

— Le final, s'enthousiasma la photographe en récupérant son matériel. C'est le moment de mettre de la musique !

Elle s'exécuta tandis que nous avancions tous un peu dans le sable, les yeux rivés sur la rive opposée du Bassin. Forcément, mes pieds s'enfonçaient désagréablement dans le sol et je jurais intérieurement. Je faisais un effort, mais je me voyais encore vider mes chaussures dans les trois semaines qui allaient suivre ! Toutes les bières que j'avais bues ne suffisaient pas à me faire totalement oublier ce détail. Vraiment, je détestais ça !

Sur les bonnes musiques et après le juste nombre de bières, il ne fallut pas trop longtemps à la boute-en-train du groupe pour motiver tout le monde. Trop heureux de pouvoir prolonger une dernière fois notre séjour Bordelais, aucun ne se fit trop prier. Elle nous entraîna tour à tour pour nous pousser à nous déhancher avec elle avant de nous accrocher les uns aux autres dans un cercle improbable. Elle ne laissa guère le choix à Cillian, qui râla pour la forme avant de nous rejoindre. Sur ma nuque, son bras croisa celui d'Alix. J'étais on ne peut mieux entouré, coincé entre ces deux amis auxquels j'aurais confié ma vie sans la moindre hésitation. Je m'accrochai à leurs tailles pour suivre le mouvement et conserver mon équilibre au milieu de notre cercle un peu bancal.

— Oh, merde ! soufflai-je tandis en trébuchant, rattrapé in extremis par mes voisins.

— Reste avec nous ! se moqua Alix, tout sourire.

Je ris, parce que si l'un de nous tombait, les autres suivraient certainement. Si nous chutions, ce serait ensemble, emmêlés que nous étions les uns aux autres. Entre deux rires, je tentais de me synchroniser aux autres sur les paroles du refrain qui nous guidait.

« Tonight we are young,
So let's set the world on fire,
We can burn brighter than the sun. »
Fun - We are young

(Ce soir nous sommes jeunes,
Alors incendions le monde,
On peut brûler plus fort que le soleil.)

Nous beuglions plus que nous ne chantions, hurlant à qui voudrait bien l'entendre notre bonheur, notre insouciance, les enfants que nous serions toujours un peu, envers et contre tout. Nous nous balancions tous sur un rythme peu ordonné, un peu décalé. Pour sûr, Sam savait maintenir l'ambiance à son paroxysme. Elle était déchaînée !

Ce soir, j'avais décidé de mettre mes inquiétudes de côté une dernière fois, et de m'éclater. C'était très simple, tout ça, c'était juste magique. Simple et magique, parfaitement parfait. Un océan d'amour et d'espoir loin de tout. Mon cœur battait en chœur avec la musique, s'alignait sur les éclats de rire qui ne cessaient de retentir au fil des bêtises des uns et des autres. J'étais extatique, inspiré d'une joie presque irrationnelle, supérieure. J'avais assez bu pour que tout tangue un peu autour de moi. Juste ce qu'il fallait pour danser sans me préoccuper de l'image que je renvoyais, assez pour oublier ce qui me tracassait, ne garder que l'instant, ne garder que le meilleur et les pas en avant. Qu'est-ce que je célébrais exactement ? Ma décision ? Ma libération imminente, ou du moins, le premier pas que je m'étais promis d'effectuer ? Peut-être que je les célébrais, eux, et ces jours de pure extase qui arrivaient à leur fin. Les bras de Raphaël autour de moi, son visage porté vers le ciel, ses rires émerveillés, le sourire qu'il ne quittait presque jamais. Je célébrais tout ça en tournant avec lui, jusqu'à ce que nos pieds ne se prennent dans le sable et que l'on tombe tous les deux.

« Can we go back, this is the moment,
Tonight is the night, we'll fight 'til it's over,
So we put our hands up, like the ceiling can't hold us,
Like the ceiling can't hold us. »
Mackelmore & Ryan Lewis - Can't hold us (feat. Ray Dalton)

(Peut-on y retourner ? C'est le moment,
C'est ce soir, on se battra jusqu'au bout,
Alors on lève les mains, comme si le plafond ne pouvait nous retenir,
Comme si le plafond ne pouvait nous retenir.)

Bien sûr qu'il la connaissait par cœur. Il écoutait de tout. Surtout, il écoutait ces morceaux qui lui donnaient envie de voler, de vivre un peu plus, qui lui donnaient la sensation d'être invincible, de pouvoir tout réaliser, tout dépasser. Et moi, je le suivais, je volais aussi avec lui, à ses côtés, dans ses bras. J'étais blotti contre son corps, mon visage dans son cou, nous reprenions nos souffles et je faisais de mon mieux pour ne pas me formaliser des grains de sable qui s'insinuaient partout. À ce rythme, nous allions ramener la plage d'ici avec nous en Normandie, en plus des souvenirs emmagasinés qui sauraient nous tenir chaud pour les longues soirées d'hiver à venir. Des liens plus étroits que jamais, des amitiés plus solides que n'importe quelle attache.

Je finis par me redresser, jetant un coup d'œil aux autres. Sam et Alix dansaient encore. Adossé au muret qui bordait la plage, Cillian observait le ciel, une bière à la main. Nous lui laissions de l'espace, sachant pertinemment qu'être ainsi entouré, dans une effervescence constante, ne lui convenait qu'à moitié. Il avait besoin de temps pour lui, besoin de calme et de solitude. Au départ, il en avait été gêné. Puis il avait compris que nous ne le lui reprochions pas, au contraire. Nous le connaissions assez pour savoir que c'était son équilibre, qu'il fonctionnait comme ça. Comment aurions-nous pu lui en tenir rigueur ? Alors par moment, il ne parlait pas. Il écoutait sa musique, il faisait autre chose. Il partait marcher, ou il restait en notre compagnie, mais son esprit était ailleurs. Il nous revenait quand il le souhaitait, et ça nous allait. Chacun y trouvait son compte, c'était tout ce que nous souhaitions, l'objectif même de cette petite bande hétérogène.

Raphaël s'installa dans mon dos, ses jambes autour de moi, appuyé sur un bras tandis que l'autre m'attirait à lui pour une douce étreinte. Je me laissai volontiers aller contre son torse, savourant sa chaleur. La nuit était tombée depuis un moment, il commençait à faire réellement frais, le soir, malgré nos multiples couches de vêtements. Je levai les yeux vers les étoiles. L'une d'elles brillait-elle pour moi ? Est-ce qu'un jour, je serais parmi elle ? Je ne croyais en rien après la mort, je n'avais pas d'avis ferme sur la question, tout me semblait possible. Peut-être n'y avait-il rien, peut-être que quelque chose nous attendait. Peut-être que je serais une étoile. J'aurais aimé être une étoile.

Je ne savais pas quand je pourrais à nouveau jouir d'un tel moment de bonheur, mais j'avais l'intuition que ce n'était plus près d'arriver, qu'il allait se passer bien trop longtemps avant que l'on ne retrouve l'insouciance qui était la nôtre ce soir.


Are you alive ? + No Easy Way (tome 2) [BxB] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant