Are you alive ? + No Easy Way (tome 2) [BxB]

Chapitre 10 - Eliott

« See who I am, break through the surface,
Reach for my hand, let's show them that we can,
Free our minds and find a way
The world is in our hands,
This is not the end. »
See who I am - Within Temptation

(Vois-moi tel que je suis, brise la surface
Attrape ma main, montrons-leur que l'on peut
Libérer nos esprits et trouver un chemin
Le monde est entre nos mains
Ce n'est pas la fin.)

J'approchais de la place Saint-Louis avec la peur au ventre. Je n'étais pourtant pas vraiment du genre à angoisser. Des entretiens d'embauche, j'en avais déjà passé puisque je travaillais tous les étés depuis plusieurs années. Là, il s'agissait de rencontrer non seulement ma potentielle patronne, mais aussi la mère de Raphaël. Comme si ça ne suffisait pas pour me mettre la pression, mon père avait fait des pieds et des mains, sous prétexte de m'encourager et de me conseiller, pour anéantir ma confiance en moi et mes espoirs. J'enrageais de constater qu'il avait un tel pouvoir malgré tous mes efforts pour ne donner aucun poids à ses mots.

Lorsque j'avais quitté Raphaël la veille, j'avais trouvé le Colonel à la maison, m'attendant de pied ferme pour exiger un rapport complet sur les épreuves que j'avais passées pour le baccalauréat. Mes explications ne l'ayant pas satisfait, ça avait évidemment tourné au véritable réquisitoire sur mon manque de sérieux, d'implication, d'ambition... Mes incapacités, mes fautes, mes échecs... L'avenir sombre auquel j'étais promis si je n'évoluais pas et le fait que je ne méritais pas mieux. Ni surprise ni nouveauté dans ses propos, mais tellement de fatigue de mon côté... Pour écouter, ne pas réagir, prendre sur moi, me protéger. Plus aucune carapace ne résistait. J'étais à bout, je ne pouvais plus supporter ses accusations, ses reproches. Ses mots destructeurs. Alors je m'étais renfermé tout au fond de moi, espérant ne plus l'entendre, espérant qu'il disparaisse, qu'il se taise, qu'il cesse ses réflexions, ses récriminations. Il existait des cas de combustion spontanée, non ? C'était le moment !

Lorsque Raphaël m'avait confirmé avoir obtenu pour moi un entretien d'embauche, j'avais oublié un instant qui se trouvait en face de moi et le sourire que j'avais affiché n'était pas passé inaperçu. J'avais vraiment envie de ce job. Bosser dans un bar, c'était une idée exceptionnelle pour moi qui voulais reprendre le contrôle de ma vie, découvrir ce dont j'étais capable en dehors de l'influence que mon père exerçait sur tout ce que je faisais, tout ce que j'étais. J'avais hâte de faire quelque chose pour et par moi-même. J'avais hâte d'apprendre, même si je me débrouillais déjà bien dans une cuisine. J'avais hâte de faire des rencontres, de sortir de cet enfer. C'était, en somme, l'entretien de toutes les chances, de tous les enjeux. Un début d'autonomie financière m'ouvrirait de nouveaux horizons, les horaires pas forcément commodes, mais moins classiques que pour un job de bureau, seraient une main tendue vers des heures de sortie et des couvre-feu plus avantageux. Ces espoirs n'avaient visiblement pas plu à mon père : lorsque je lui avais expliqué, méfiant, les raisons de mon enthousiasme, il avait ri.

- Rien n'est fait, Eliott ! m'avait-il sermonné. Ce n'est qu'un entretien, maintenant il va falloir faire tes preuves et mériter ta place. Tu n'as pas le droit à l'erreur.

C'est reparti, avais-je pensé, me retenant de soupirer. Il s'était, pour changer, perdu dans un discours interminable sur la tenue adéquate, l'attitude à adopter, les valeurs à défendre... À croire qu'il essayait de refaire toute mon éducation en quelques phrases toute faites.

- Tu ne peux pas te présenter avec tes fringues négligées ! Tu n'as déjà que la peau sur les os, avait-il déploré, son dégoût parfaitement audible dans sa voix. Tu dois faire bonne impression, avoir l'air sérieux et travailleur. Y'a du boulot !