L'apprentie cosmotière

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Terra contemplait avec satisfaction la roche encore chaude posée sur la table lorsque celle-ci lui explosa à la figure. Le bruit clair de la pierre qui se brise la fit sursauter. Au milieu des débris noircis se trouvait une orbe intacte, parfaitement sphérique, et dont le centre rougeoyait lentement.

Elle rangea ses gros gants dans la poche centrale de son tablier, prit la grosse pince en métal posée à côté d'elle et manipula la gemme avec délicatesse pour en discerner de potentiels défauts. De la taille d'une petite pomme, l'orbe était lourde et se briserait sûrement si Terra la laissait tomber par inadvertance. La surface était parfaitement lisse, et la couleur rouge sang. La gemme semblait pulser lentement d'un rouge plus sombre et donnait l'impression d'être vivante. Le cœur du battement était légèrement excentré, mais elle savait que leur cliente ne remarquerait pas l'imperfection, trop subtile pour être détectée par un amateur.

Terra avait de quoi être fière, c'était le plus beau Cosmo qu'elle n'avait jamais créé.

Elle dirigea la pince enserrant le Cosmo vers la boîte située derrière elle. Délicatement, elle déposa l'orbe dans le creux du coussin de soie posé au fond. La gemme roula légèrement sur le côté et Terra dû s'y reprendre à deux fois avec ses pinces pour replacer le Cosmo au centre du paquet. Cela aurait été plus facile de manipuler la gemme avec sa main, mais elle n'avait pas le droit de toucher les Cosmos qu'elle créait et si son patron découvrait des traces de doigts en inspectant son travail, elle aurait droit à un long sermon sur les permis régulant l'utilisation des Cosmos.

La jeune fille leva la tête de son travail, souffla les deux bougies posées sur la table dont elle n'avait plus besoin, le travail de précision étant maintenant terminé, et sortit de l'atelier en se demandant si Hadrian serait heureux de voir le travail de qualité qu'elle avait accompli.

La porte de l'atelier donnait directement sur la petite boutique dans laquelle travaillait Terra depuis quelques années maintenant. L'intérieur était simple et largement éclairé par la lumière venant de la grande fenêtre donnant sur la place. Trois chaises à dos haut étaient alignées contre l'un des côtés de la pièce au-dessus desquelles était accrochée une peinture de taille moyenne représentant une scène de vie à la campagne. Contre le mur opposé, se trouvaient de hautes étagères en bois sur lesquelles s'accumulaient des livres de comptes et des instruments de mesure.

Hadrian était seul, debout face à l'immense comptoir posé au centre du magasin, et écrivait dans un calepin posé à côté d'un chandelier dont les bougies étaient allumées. Terra observa en silence son patron et la plume avec laquelle il dessinait des courbes, interrompant régulièrement son mouvement pour replonger la pointe dans l'encrier.

Terra se doutait qu'Hadrian n'apprécierait pas d'être dérangé en plein travail, mais lorsqu'il verrait le Cosmo qu'elle venait de créer, il comprendrait l'empressement qui habitait la jeune fille.

Dans un bruissement de jupons, elle se planta, presque au garde à vous, de l'autre côté du comptoir. Hadrian releva la tête et la regarda d'un œil paternel, légèrement agacé par l'interruption de ses calculs.

Terra trouvait que son patron avait bonne allure, pour un homme de la quarantaine. Elle croisait souvent des hommes plus jeunes qu'Hadrian, même parmi leurs clients de l'aristocratie, qui trahissaient les premiers signes d'une maladie croissante ou des dégâts causés par le manque d'hygiène dentaire. Si seulement Hadrian décidait d'abandonner la perruque courte aux cheveux blancs qui lui couvrait les oreilles et dont les boucles autour de la nuque étaient passées de mode chez les autres bourgeois depuis presque quinze ans, il pourrait presque se faire passer pour un jeune homme débutant dans les affaires.

Il y avait son regard aussi. Même maintenant, alors qu'il regardait Terra avec bienveillance, ses yeux demeuraient durs et affaissés.

— La commande pour la Comtesse de la Gifarnière est terminée et parfaitement livrable, annonça Terra.

Les pierres de la révolteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant