La poudre et le feu

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— Tiens, comme on se retrouve.

Terra détestait la voix sifflante et impatiente de l'homme qui la regardait déjà comme une proie à sa merci.

— Adjudant Synon, on est chez un maître Cosmotier. On va avoir des ennuis si on reste plus longtemps, confia l'un des deux hommes à celui qui était leur chef.

— Je pense que c'est cette demoiselle qui aura des ennuis. Voilà ce qui arrive quand on prépare des émeutes dans la ville, répliqua Synon.

— Je n'ai rien organisé, se défendit Terra. Elle aurait souhaité qu'une voix plus assurée sorte de sa bouche.

Elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle. Pour l'instant, la situation était calme. La jeune fille s'était fait petite et Roscelin s'était levé de son siège mais ne semblait pas vouloir s'interposer et son épée était encore dans son fourreau. De toute façon, les nobles ne savent pas vraiment s'en servir et ne s'en servent que d'apparat, songea Terra en abandonnant l'espoir de voir l'homme la secourir.

— Voyons, fit Synon dans un rictus laissant apparaître des dents noircies, vous allez me dire qu'une femme comme vous, avec un travail, des habits décents et de toute évidence suffisamment à manger tous les jours, vous n'êtes venue que pour afficher un soutien sans aucune connexion avec aucun Club ?

Elle voyait qu'il se retenait de se précipiter sur elle, comme un chien se forçant à rester calme pour obtenir une récompense.

— C'est la vérité, je ne fais partie d'aucun Club.

Terra disait vrai. Elle connaissait comme tout le monde l'existence de plusieurs Clubs s'organisant dans la ville de Gallia pour se regrouper et fomenter des idées nouvelles. Plusieurs d'entre eux étaient à l'origine des Pamphlets qu'elle lisait dans la rue à ses voisins et ils avaient appelé à plusieurs révoltes. Celle de ce matin-là en faisait partie. Terra aurait sans doute aimé rejoindre l'un d'eux mais la seule personne qu'elle connaissait et dont la situation lui permettrait de l'y faire entrer était Hadrian, or Terra savait qu'il détestait se mêler de politique.

— Et vous étiez sûrement dans la foule par hasard, c'est cela ? continua Synon sans la quitter des yeux, vous savez pourtant que Notre Roi a interdit les mouvements de foule dans les rues. Je pourrais vous emmener sur le champ et vous jeter dans une cellule, si je le souhaitais.

Synon fit deux pas vers elle. Elle tenta de reculer mais sentit le mur contre son dos.

Il ne me croit pas.

Terra avait remarqué dans la rue ce matin qu'avec ses habits de travail décents et les fines broderies du magasin sur son tablier, elle sortait du lot de pauvreté qui l'avait alors entourée. Cependant, elle n'avait jamais pensé que cela attirerait l'attention de la police et qu'elle serait suspectée d'appartenir aux organisateurs mêmes de ces émeutes. Elle ne savait plus quoi dire pour se sortir de cette situation.

— Qu'est-ce que vous voulez ? tenta-t-elle en se forçant à élever légèrement la voix dans l'espoir qu'Hadrian l'entende.

— Que vous me disiez de quel Club vous faites partie et où se cachent vos amis, insista Synon en se passant la langue sur les lèvres. Terra vit les mains de Synon trembler d'excitation.

Terra paniqua. S'il m'embarque, je n'ai aucune idée de ce que cet homme pourrait me faire.

— Je pense que vous faîtes erreur, Adjudant, dit une voix grave sur sa droite.

Roscelin avait parlé directement à Synon et se tenait maintenant à moins de deux mètres de l'un des brigadiers, la main posée sur le pommeau de son épée.

— Cette jeune femme était ici à travailler depuis que je suis entré dans cette boutique, continua-t-il.

Le ton était poli, mais bourru et sonnait faux. Synon fit un rapide mouvement de tête et ses deux adjoints levèrent leur baïonnettes et mirent en joue Terra et leur nouvel interlocuteur.

Synon passa sa main sur le côté et sortit avec triomphe un pistolet qu'il pointa sur elle. Sans doute qu'il se moquait de savoir qui Terra était et quel Club avait organisé l'émeute de ce jour-ci. Elle vit alors que ce qui comptait pour cet homme à cet instant, c'était de la savoir à sa merci et le sentiment de puissance que lui donnaient la situation et son arme.

— Je ne vais même pas prendre la peine de vous embarquer. Que savez-vous de l'émeute d'aujourd'hui ? Qui a planifié d'attaquer le palais royal ? dit Synon d'une voix forte.

Au même moment, la porte du bureau privé d'Hadrian s'ouvrit. Alertés par le bruit, Hadrian et la Comtesse se ruèrent dans la boutique, au soulagement de Terra qui ne l'espérait plus. Le maître cria à l'encontre des trois intrus.

— Que faîtes-vous dans mon magasin ? Je vous ordonne de...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase.

Synon ne s'attendait pas à voir débarquer d'autres personnes. Terra eut à peine le temps de le voir diriger son arme vers les deux intrus et elle se figea d'horreur lorsque l'adjudant tira.

Terra entendit le bruit de la détonation du pistolet et vit dans un clignement d'yeux la balle voler vers le bureau. Au même moment, elle sentit le souffle chaud d'une flamme provenant du fond de la pièce et qui fonçait sur Synon en réponse à l'attaque.

Hadrian tomba vers l'arrière, une balle enfoncée près de l'œil gauche.

Une boule de feu traversa la poitrine de l'adjudant Synon qui s'effondra sur le coup.

Les yeux de Terra cherchèrent l'origine de l'attaque de feu et vit la Comtesse, haletante, le bras droit encore tendu vers l'entrée de la boutique et la main gauche posée sur le Cosmo qu'elle avait attaché à sa taille et dont le centre étincelait.

Les pierres de la révolteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant