L'hôte et le chaos

2 1 0
                                    

Soudain, ils entendirent plusieurs bruits à l'intérieur de la maison, provenant du rez-de-chaussée. Des claquements métalliques se mêlaient aux voix humaines incompréhensibles. Les deux policiers se reculèrent de la fenêtre pour frapper à la porte et demander si tout allait bien. Au même moment, Roscelin toucha discrètement le bras de Terra avec son coude et leur regard se croisèrent.

— Quelqu'un est entré, on va voir en bas. Il faut que l'un de vous deux sorte pour garder notre place.

L'un des policiers ouvrit la porte avant de la refermer derrière lui. Pendant ces quelques secondes, Terra entendit les sons plus perceptibles d'une bagarre. Elle suivit Roscelin qui se pencha vers la fenêtre. En bas, un homme sortit avec précipitation de la maison et monta sur un cheval en direction du centre-ville.

— Il va prévenir Lagh, dit Roscelin tout bas.

Un peu plus loin, une voiture attelée de deux chevaux était garée au milieu du chemin de terre. Elle n'avait bien sûr pas été ici lorsqu'ils étaient arrivés et ne semblait pas appartenir à la police royale, mais plutôt à un particulier.

— C'est le moment, lança Roscelin en se jetant de tout son poids contre l'unique policier resté avec eux. Celui-ci n'eut pas le temps de dégainer son arme. Roscelin appuyait de toutes ses forces contre son cou qu'il fit claquer. La tête partit sur le côté et leur geôlier tomba sur le sol sans avoir poussé un seul cri.

Roscelin se releva en gémissant de douleur et porta une main instinctivement à son côté.

— Vérifie rapidement sous tous les matelas, je connais Tajino, il laisse traîner ses armes un peu partout.

Sans même poser de questions, Terra s'empressa de lever les matelas tressés qui recouvraient l'entièreté du sol de la pièce. Dans l'urgence, elle se moquait du bruit qu'elle faisait et en moins de deux minutes, la moitié des matelas étaient jetés aux quatre coins de la chambre, mettant à nu un parquet de basse qualité.

Sous le dernier matelas qu'elle souleva, l'une des planches ressortait légèrement, comme mal fixée. Intriguée, elle tira dessus et le bois lui resta dans les mains. En dessous, Terra trouva plusieurs pochettes de tissus soigneusement alignées.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Roscelin impatient en s'approchant.

Terra ne répondit pas, prit l'une des pochettes et déroula le tissu. Celui-ci recouvrait plusieurs lames de tailles différentes allant de dix à presque trente centimètres. Terra n'avait jamais vu de tels objets. Composés d'une seule pièce forgée, la partie pointue ressemblait à une version agrandie d'une pointe de flèche. Le manche était recouvert de fine corde enroulée pour l'accroche et le pommeau formait un anneau. De toute évidence, il s'agissait d'armes faites pour être dissimulées.

A côté d'elle, Roscelin avait ouvert une autre pochette au contenu similaire et avait sorti la lame la plus imposante. Il la tenait comme un poignard. Terra l'imita de son mieux.

— Essaie de cacher un ou deux petits kunai sous tes vêtements, si tu peux.

Présumant que les kunai étaient le nom de ces armes, Terra tenta de faire ce que Roscelin lui avait demandé, mais il était impossible pour elle de cacher les lames sans se blesser elle-même. De son côté, Roscelin n'eut aucune difficulté à les glisser dans les nombreuses poches de son gilet.

Derrière la porte, les bruits de combats se rapprochaient. Au milieu des cris et des bruits de fer croisés s'ajoutaient de violents claquements de fenêtre. Terra et Roscelin ignoraient toujours ce qui se passait en bas. Si leur porte était toujours gardée, ils ne pourraient pas sortir sans avoir à combattre et ils étaient en sous-nombre, presque sans armes.

Ils entendirent des pas déchaînés monter les escaliers.

— Ils arrivent, mets-toi à côté de la porte, ordonna Roscelin à Terra qui s'exécuta. Elle espérait voir débarquer des alliés, mais dans le cas contraire, elle se tenait prête à attaquer.

Dans un violent coup de vent, comme par magie, la porte à côté d'elle fut propulsée à l'autre bout de la pièce. Roscelin l'évita de justesse. Dans l'embrasure se tenaient deux hommes que Terra ne reconnut pas. Ils ne portaient pas d'habits de la police royale. Elle jeta un coup d'œil à Roscelin. Celui-ci n'attaqua pas et un sourire s'allongea sur sa figure.

L'un des hommes entra et s'avança vers eux. Il était à peine plus grand que Terra et portait ses cheveux noirs et raides remontés en queue de cheval haute au milieu de son crâne. Son visage avait les traits fins, les pommettes hautes et la peau hâlée. Il portait un ensemble noir banal, composé d'un justaucorps court et d'une culotte tombant jusqu'à une paire de bottes de voyage. Autour de sa taille, l'étranger avait enroulé plusieurs fois une longue bande de tissu léger orange et rouge aux motifs hexagonaux. Les extrémités pendaient sur son côté droit et lui arrivaient aux genoux. Une bande du même tissu entourait son cou, remplaçant le jabot habituel.

— Je quitte la maison pendant quelques jours et je la retrouve envahie de parasites quand je reviens, s'exclama l'inconnu d'un air essoufflé.

— Tajino ! T'étais où tout ce temps ?

Roscelin s'approcha et baissa la lame qu'il avait entre les mains. Tajino renifla son ami d'un air interrogatif.

— Mon ami, tu sens les tsukemono.

— Oui, j'ai dû casser une ou deux de tes jarres en essayant de me débarrasser de la vermine.

Tajino lui lança un regard plein de faux reproches avant de lui lancer un sac à la forme familière. Roscelin le rattrapa en laissant échapper un grincement de dents puis le mit sur son dos.

— J'ai aussi trouvé ça, ajouta Tajino en tendant dans une main l'épée de Roscelin et dans l'autre la poche de Terra.

— Vous avez tué tout le monde en bas ? demanda Terra d'une voix inquiète tout en récupérant ses affaires et en attachant la petite sacoche sur le côté. Tajino se tourna vers elle et lui sourit.

— On s'est seulement frayé un chemin, expliqua-t-il.

Le français de Tajino était meilleur que ce à quoi Terra s'était attendue. Seul un léger accent trahissait ses origines étrangères. Il avait du mal à prononcer proprement les sons "eu" et "e" et ses "r" résonnaient trop clairement, comme s'il avait passé beaucoup de temps à s'entraîner à prononcer ce son inhabituel pour lui sans arriver à un résultat naturel.

— Je ne crois pas que nous ayons toute la nuit, s'exclama une voix aiguë derrière l'embrasure de la porte. Le second homme avait un bras levé et une main contre sa taille. Avec l'obscurité, Terra ne distinguait pas son visage mais la voix lui semblait familière. Plusieurs policiers montaient les marches de l'escalier en courant. Lorsqu'ils furent presque au même niveau que leur cible, un petit mur de feu s'éleva de la main tendue de l'inconnu, faisant reculer ses assaillants de quelques pas. Les flammes illuminèrent son visage pendant plusieurs secondes.

— Mari-Alee ? s'exclama Terra.

Les pierres de la révolteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant