Elle courait à en perdre haleine. « Plus vite, s'intima-t-elle, plus vite ! »
Ksenia s'imposait une course chaque jour afin de garder la forme. Les personnes sans bonne condition physique étaient les premières à mourir, selon elle. En tant que grande sportive, la jeune femme était svelte et avait des muscles joliment dessinés. Grande adepte des arts martiaux, il fallait bien avouer qu'il ne restait plus grand monde à combattre. Elle s'était donc rabattue sur la course à pied.
Arrivée au coin de la rue, la jeune femme sprinta pour arriver jusqu'à l'entrée d'un luxueux hôtel qui jurait parmi les bâtiments délabrés qui lui étaient adjacents. Elle entra dans le hall, plongé dans la pénombre. Des fauteuils Louis XV de couleur pourpre meublaient la salle, entourant de jolies tables aux moulures délicatement ciselées et aux plateaux de verre. De moelleux tapis étaient disposés au sol afin de créer une atmosphère chaleureuse. Le haut plafond avait dû faire résonner de nombreuses conversations des gens de la haute société, rassemblés sur ces mêmes chaises pour discuter autour d'un thé, pensa la jeune femme. Elle dépassa rapidement la réception et ses grands comptoirs en acajou ornés d'arabesques dorées pour arriver devant les cages d'ascenseur décorées à l'or fin. Aussi clinquantes soient-elles, elles ne marchaient plus pour autant. Rien ne vaut les bons vieux escaliers, songea Ksenia. Elle commença à gravir au pas de course les trente-sept étages qui la mèneraient à son appartement.
Elle s'était arrogée le penthouse de l'hôtel. Il fallait bien que quelqu'un en profite. Elle n'avait pas survécu à cette stupide catastrophe pour vivre dans un minable taudis ou pour se cacher dans les bois. Non, si elle avait outrepassé l'erreur de manipulation génétique qui avait réduit ce monde à néant, Ksenia estimait que la moindre des choses était qu'elle puisse finir ses jours dans le confort.
Après avoir enlevé ses baskets, la jeune femme entra dans l'appartement. Elle pouvait ainsi profiter du moelleux des nombreux tapis qui habillaient le sol. Elle passa par le salon, qui comportait un énorme canapé beige aux formes arrondies ainsi que des petits fauteuils individuels qui entouraient une table basse faite de bois et de verre. Un peu plus loin, vers les grandes baies vitrées qui donnaient une vue impressionnante sur la ville, se trouvait un magnifique piano à queue qui brillait de mille feux sous les rayons du soleil couchant. Pour se diriger vers la terrasse, Ksenia devait ensuite passer par le coin cuisine, avec son imposant plan de travail en chrome et son comptoir en verre autour duquel étaient disposées des chaises hautes à l'aspect métallique. Cette partie du penthouse donnait une impression beaucoup plus futuriste, et la jeune femme ne l'aimait pas beaucoup. Elle préférait de loin la chaleur des meubles du salon. Enfin, elle arriva sur la terrasse. La vue sur la ville y était superbe, d'autant plus que le soleil commençait à décliner et éclairait les gratte-ciels d'une lueur orangée. La piscine faisait toute la largeur de la terrasse. Ksenia n'aurait su dire combien de mètres cela représentait, peut-être dix. Deux transats et quelques fauteuils en bois aux coussins confortables complétaient le tableau. Etonnamment, l'eau était encore claire. Cela faisait pourtant quelque temps que la catastrophe avait eu lieu. Le liquide aurait dû se teinter d'une couleur verte peu avenante. Ksenia en avait déduit que la piscine du penthouse était dotée d'un régulateur de chlore automatique – ce qui, vu le luxe du lieu, ne l'étonnait guère. Elle ne savait pas jusqu'à quand cela durerait – le régulateur allait bien tomber en panne au bout d'un certain temps, ou tout simplement être à court de pastilles de chlore – mais pour le moment, elle n'avait pas à se plaindre. Ksenia prit le seau qui se trouvait à côté de la piscine – et qui détonnait avec l'atmosphère raffinée du lieu -et le remplit avec l'eau de cette dernière. Avec la catastrophe, les ressources précieuses, comme l'eau ou l'électricité, étaient de plus en plus difficiles à trouver. La jeune femme se lavait sommairement chaque jour afin de se débarrasser de la sueur produite pendant le sport.