Malgré les efforts brutaux de Wolfe pour la remettre sur pied, Ksenia n'avait pas réussi à tenir debout. Le géant avait dû la porter, la balançant en travers de ses épaules comme un vulgaire sac de toile. Assommée par les violents coups qu'elle avait reçus, la jeune femme n'avait pas grand souvenir du trajet. Elle avait senti les soubresauts lui lancinant le corps lorsque Wolfe avait descendu les escaliers, puis il lui semblait qu'ils avaient marché quelques instants avant qu'elle ne soit jetée sur une surface molletonnée. Après cela, elle avait sombré dans l'inconscience.
Lorsqu'elle revint à elle, son esprit était encore brumeux. Elle tenta de bouger légèrement, mais grimaça aussitôt. Tout son corps lui semblait avoir été transpercé par un millier d'objets contondants. Jamais, même lors de ses entraînements les plus intensifs, elle n'avait ressenti une telle douleur. Elle regarda brièvement autour d'elle. La jeune femme se trouvait à l'arrière d'une voiture. Elle passa les mains sur les sièges : ils étaient en cuir. Pourtant, Ksenia n'avait pas la sensation désagréable de la peau qui colle à cette matière onéreuse. En effet, elle se rendit compte qu'elle était allongée sur une couverture qui avait été interposée entre son corps et les sièges. Les vitres étaient teintées, et une paroi séparait l'espace conducteur de l'arrière. Le tout était bien entretenu. Elle se trouvait probablement dans une berline luxueuse. Elle n'essaya même pas d'ouvrir une des portières : elles seraient probablement fermées. Ksenia voulut fermer les yeux pour se reposer de nouveau, mais les cahots de la route l'en empêchaient, secouant un peu plus ses membres déjà meurtris. Ils devaient probablement emprunter un chemin raboteux. Elle se demanda où ils pouvaient bien se trouver. Elle n'avait aucune idée de la durée pendant laquelle elle était restée inconsciente, et elle ne connaissait pas suffisamment la région pour savoir dans quelle direction ils se dirigeaient. Résignée, elle enfonça sa tête un peu plus profondément dans la banquette, et son esprit se mit à vagabonder. Elle ne pensait à rien de précis, laissant ses souvenirs remonter à la surface. Une chanson qu'elle écoutait souvent avant que l'Infection se propage lui revint en tête. Elle se mit doucement à fredonner l'air, à la manière d'une berceuse. Un sentiment d'apaisement, bientôt suivi de mélancolie, l'enveloppa. La jeune femme sentit son cœur se serrer. Tellement d'événements étaient arrivés, et si vite...
Soudain, la voiture s'arrêta brutalement. Ksenia, surprise par la manœuvre, glissa de la banquette. Elle entendit la porte du passager s'ouvrir, puis le bruit des pas sur le gravier. La portière à sa droite s'ouvrit, et elle put voir, à l'envers, le visage de Cabe obstruer son champ de vision. Ce dernier lui fit un grand sourire avant de plaquer un morceau de scotch épais sur sa bouche. Ksenia essaya de se débattre, mais Cabe lui assena un coup sur la tempe, et elle tomba aussitôt dans un sommeil forcé.
Lorsqu'elle reprit ses esprits, elle se trouvait dans une chambre à l'ambiance cosy. La pièce n'était pas très grande mais dégageait une agréable sensation de chaleur avec son mobilier en pin et ses murs jaune beurre. Le lit sur lequel elle était allongée était collé contre le mur et faisait face à un petit bureau fonctionnel. En face d'elle se trouvait une petite fenêtre. Des rideaux légèrement opaques y étaient suspendus. Ksenia se réveilla doucement. Sa tête la lançait atrocement. Tomber inconsciente deux fois en une seule journée, c'était beaucoup trop pour une seule personne. Elle remarqua cependant, et avec satisfaction, que les crampes dans ses articulations s'étaient presque estompées. Sa main gauche avait été soignée, comme en témoignaient le bandage qui entourait sa paume et l'atèle qui avait été posée. Il subsistait tout de même une légère douleur dans les deux doigts que Wolfe lui avait cassés, mais Ksenia était rassurée. On l'avait bien soignée. La jeune femme se leva et se dirigea vers la fenêtre. Elle essaya de distinguer ce qu'il y avait au dehors, mais elle se heurta à l'obscurité. Si c'était la nuit, alors elle était restée dans les vapes toute la journée. Elle avait l'impression d'avoir perdu une journée de sa vie. Ksenia essaya alors d'ouvrir la fenêtre, mais celle-ci demeurait close. Elle avait probablement été scellée. Les lieux pouvaient bien être aménagés avec goût, il n'en résultait pas moins que la jeune femme demeurait une prisonnière. Son humeur quelque peu assombrie par ces pensées peu réjouissantes, Ksenia continua son inspection de la pièce. Un petit mur séparait le bureau de l'espace salle de bain, qui se composait d'un lavabo et d'une étagère plutôt spacieuse. Elle y trouva un tee-shirt noir et un pantalon en lin beige. La jeune femme décida de ne pas les passer tout de suite. Elle retourna s'asseoir sur le lit. Petite mais fonctionnelle, la chambre ressemblait beaucoup à celles louées aux étudiants dans les villes. Assise en tailleur, Ksenia ressassait ses souvenirs d'étudiante. Elle avait intégré une faculté des sciences du sport. Natalia, quant à elle, avait préféré s'orienter vers l'économie, ce qui ne l'avait, tout compte fait, que peu intéressée. Elle avait arrêté au cours de sa deuxième année et s'était ensuite dirigée vers le mannequinat. Ksenia sourit à l'évocation de cette période. En y réfléchissant bien, Natalia et elle avaient toujours été dans la même ville. Ce n'est que lors des stages de Ksenia ou des séances photos un peu plus exotiques de Natalia qu'elles avaient dû momentanément se quitter. A part cela, les deux jeunes femmes passaient le plus clair de leur temps ensemble. Il n'y avait pas eu un été pendant lequel elles n'étaient pas parties en vacances ensemble, pas un Noël qu'elles n'avaient pas fêté ensemble. Elles étaient liées comme des âmes sœurs. C'était sûrement pour cela que Ksenia ne pouvait s'empêcher de penser à son amie d'enfance. Elle était une part d'elle, elle faisait partie de sa chair.
