BEATRIX

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Elle se réveilla avec une douleur lancinante dans le crâne. Impossible d'ouvrir les yeux, elle ne distinguait rien et cela accentuait l'impression que son cerveau était en train d'être lentement comprimé par un étau. Un goût métallique lui emplissait la bouche, et elle sentait un contact froid, presque glacial, contre sa joue. Elle essaya de bouger, mais très vite se rendit compte que cela lui était difficile. Etait-ce ses muscles qui étaient engourdis ou bien était-elle attachée ? Impossible de le savoir. La jeune femme cessa de lutter et se laissa emporter de nouveau dans le sommeil, ce havre de paix qui lui évitait provisoirement d'affronter la sensation de tournis et d'impuissance qui l'avait assaillie dès qu'elle avait repris conscience.

Des bruits sourds la tirèrent de sa torpeur. Encore un peu engourdie, Beatrix tenta toutefois d'ouvrir les yeux. Cette fois, elle put distinguer quelques couleurs – floues, certes, mais c'était déjà mieux qu'auparavant. Ses bras étaient entravés dans son dos et, en voulant les remuer, elle s'aperçut que ses jambes avaient subi le même sort. Elle prit également conscience du chiffon qui lui obstruait la bouche, rendu humide par la salive qu'elle avait sécrétée tout au long de sa captivité. D'ailleurs, depuis quand était-elle dans cet état ? Béatrix n'en avait aucune idée. A peine y eut-elle songé qu'elle remarqua combien elle avait mal au ventre. Elle ne devait pas avoir mangé depuis une bonne dizaine d'heures. Est-ce que le chloroforme pouvait faire effet aussi longtemps ? C'étaient autant de questions sans réponses qui l'étourdissaient encore un peu plus. Beatrix n'avait pas la moindre idée de ce qui avait pu arriver. Son cerveau semblait pouvoir capter des bribes d'informations – comme la conviction intime qu'on lui avait apposé sur le visage un tissu imbibé de chloroforme afin qu'elle en respire les effluves – mais tout le reste demeurait aussi mystérieux et insaisissable que la brume.

La jeune femme essayait tant bien que mal de se redresser quand elle reçut une grande gerbe d'eau. Le liquide, glacé, la fit frissonner et semblait vouloir s'immiscer au plus profond de ses os. Le choc eut au moins le mérite de la réveiller. Le mal de tête persistait encore, mais ses pensées, jusqu'alors confuses, s'étaient soudainement éclairées. Sa vue-même sembla revenir, seulement voilée par les mèches blondes et trempées qui lui tombaient devant les yeux.

Beatrix pouvait à présent distinguer le lieu où elle se trouvait. C'était une pièce assez sombre mais plutôt grande – en tout cas, plusieurs mètres la séparaient du mur qu'elle voyait en face. Elle tourna lentement la tête sur le côté, pour ne pas faire souffrir ses articulations qui avaient déjà été suffisamment meurtries, et aperçut des silhouettes près d'elle. Comme Beatrix, elles avaient les mains liées dans le dos et un morceau de tissu qui dépassait de leur bouche. Les personnes qu'elle pouvait voir étaient étendues sur le sol, gisant elles aussi dans une flaque d'eau glacée.

La lumière s'alluma soudainement, aveuglant Beatrix qui avait eu tant de mal à recouvrer la vue. En plissant les yeux, elle put distinguer une rangée d'ombres humaines devant elle. Leur tenue noire contrastait violemment avec la blancheur éclatante des murs et du carrelage. Elle recula contre le mur en se tortillant comme un ver sorti de la terre fraîche. Cette salle n'évoquait aucun souvenir à Beatrix. Elle ne connaissait certes pas l'hôpital dans sa totalité, mais elle trouvait étonnant de ne jamais avoir entendu parler de ce lieu, pourtant si grand. Il aurait pu leur être bien utile.

Alors que les personnes qui se tenaient toujours immobiles devant elle projetaient de gigantesques ombres sur le carrelage, Beatrix pensa soudain à sa mère et son frère. Où pouvaient-ils bien être ? Eux aussi étaient sûrement attachés, prisonniers de liens tout comme elle. La jeune fille eut beau scruter les alentours, elle ne les aperçut pas.

Une voix s'éleva alors, grave, profonde et menaçante.

« Ecoutez-moi bien ! tonna-t-elle. Vous êtes en sécurité ici. Ne tentez rien de téméraire, et il ne vous sera fait aucun mal. »

KhaosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant