Beatrix était allongée sur son lit, les jambes appuyées perpendiculairement contre le mur, les yeux clos, essayant de trouver un peu de sérénité. Elle regrettait de ne pas avoir de musique à écouter. C'était ce qui lui manquait le plus. Plus d'électricité, plus de musique. Il restait bien les platines vinyles, mais elle doutait que les groupes de métal dont elle raffolait aient sorti leurs albums en 33-tours. Peut-être que ça existait. Mais ça devait être assez rare. Mais, en y réfléchissant bien, ces machines devaient fonctionner à l'électricité, elles aussi. La jeune fille poussa un long soupir. Il ne lui restait plus qu'à se mettre à jouer d'un instrument – une guitare, peut-être – et d'apprendre à en jouer. Elle se promit d'essayer d'en trouver une la prochaine fois qu'elle sortirait. Si elle ressortait un jour.
À cette pensée, la jeune femme se renfrogna. Pourquoi est-ce que sa mère la traitait encore comme une gamine ? Elle n'avait plus dix ans ! Et dire que son frère, d'à peine deux ans plus âgé, avait le droit de partir en mission... Tout ce qu'on l'autorisait à faire, c'était aider sa mère dans sa tournée quotidienne afin de vérifier que chaque résident se portait bien.
Comme si elle avait entendu ses pensées, celle-ci frappa à la porte et entra sans même attendre la permission de sa fille. Beatrix se retint de lever les yeux au ciel.
« C'est l'heure », déclara sa mère.
C'était une belle femme aux cheveux châtains et aux yeux clairs. On pouvait toutefois remarquer que quelques rides commençaient à apparaître sur son joli visage aux traits fermés.
« J'arrive », grommela la jeune fille. Elle laissa tomber ses jambes sur le lit puis s'assit pour lacer ses chaussures.
Elle retrouva sa mère dans le couloir. Cette dernière avait revêtu une blouse à la blancheur plus que douteuse. Beatrix n'en comprenait pas vraiment la raison. Ici, tout le monde connaissait sa mère ; le fait de mettre cette tenue pour faire les visites leur donnait une dimension officielle et faisait beaucoup trop penser à la vie d'avant. La jeune femme se demandait si les résidents avaient la même impression.
Elles commencèrent à marcher dans le couloir, longues succession sans fin de portes grises et ternes. Les murs blancs impersonnels et le lino qui commençait à jaunir sur le sol ne donnaient vraiment pas envie de se trouver là. Beatrix se demandait comment quiconque pouvait aimer vivre dans un endroit pareil. Comme beaucoup, elle n'avait jamais aimé les hôpitaux et leur odeur caractéristique, écœurante.
Les visites se suivaient et se ressemblaient toutes. Les deux femmes allaient tout d'abord dans ce qui leur servait d'infirmerie afin de prodiguer des soins aux blessés. Enfin, c'était de bien grands mots. Les blessures consistaient en quelques coupures et égratignures qu'avaient récoltées ceux qui partaient en mission. Une fois les soldats soignés, Beatrix suivait sa mère dans chaque pièce de l'étage supérieur pour voir si les personnes qui restaient au centre avaient besoin de quoi que ce soit. Sa mère notait tout dans un carnet, comme une vraie spécialiste, ce qui avait le don d'exaspérer Beatrix. En effet, sa mère avait arrêté ses études de médecine en troisième année et était ensuite devenue secrétaire dans un office notarial.
Les résidents étaient principalement des personnes plus ou moins âgées. Beatrix trouvait cela étrange que des personnes de leur âge, connues pour être faibles, aient survécu au Virus, alors que la plupart des jeunes qu'elle connaissait étaient tombés comme des mouches. Peut-être qu'après tout ce qu'ils avaient vécu, leurs corps étaient davantage immunisés, se dit-elle.
La matinée passa très lentement - trop lentement, au goût de la jeune fille. Finalement, elles arrivèrent à la dernière chambre. Comme toutes les autres, elle avait les murs jaune pâle. Un fauteuil de la même couleur était installé près de la fenêtre, non loin du lit aux couvertures orange et blanches. De petits tableaux représentant des natures mortes étaient accrochés au-dessus. A gauche du lit se trouvait une table de nuit, orange elle aussi. Ces couleurs avaient sûrement été choisies afin d'amener un peu de gaieté et de chaleur aux malades, mais Beatrix trouvait cela ignoble. Bien qu'elle visitât ces chambres quotidiennement, la jeune femme ne s'était toujours pas habituée au décor des lieux.
