Gabrielle de Saint-Just observait son père d'un air boudeur. Ses lèvres retroussées et son regard acariâtre témoignaient de sa mauvaise humeur. Elle déposa son bras avec lassitude sur l'accoudoir de la bergère dans laquelle elle était installée. Cela faisait des mois que son père la poursuivait avec des listes de prétendants à n'en plus finir. Un agacement certain transparaissait de son attitude mais, malgré son irritation, la jeune fille conservait une grâce et une élégance certaine. Elle retira avec délicatesse les gants en cuir qui protégeaient ses mains du froid du mois de décembre et se saisit de la tasse de thé que lui proposait une servante sur un plateau d'argenterie.
Elle entoura la tasse entre ses fines mains, visiblement rougies par temps hivernal, et savoura quelques secondes les vague de chaleur qui venaient chatouiller sa peau.
Tout autour d'elle respirait le faste et le luxe. Les murs étaient richement fournis en tapisseries, un feu de cheminée brûlait dans chacune des pièces du château, les meubles rivalisaient tous de splendeur. Une voix stridente retentit dans le couloir qui menait au salon dans lequel se trouvait Gabrielle et son père.
— Gabrielle !
La jeune femme souffla d'agacement et s'affala encore plus dans son confortable fauteuil. Une femme d'âge mûr entra dans la pièce. Elle portait une robe sublime, qui mettait en avant une silhouette fine et svelte malgré ses nombreuses grossesses. Chacun de ses gestes était mesuré, calculé pour être le plus gracieux possible. Elle fronça le nez en observant sa fille.
— Gabrielle ! Combien de fois vous ai-je dit de ne pas traîner dans les bois en plein hiver ? Vous avez mis de la neige partout dans le vestibule et votre robe est gâchée !
Athénaïs de Saint-Just jeta un coup d'œil dégoûté à la robe mouillée par la neige et tachée de boue de sa fille. Gabrielle se contenta de souffler de nouveau d'une manière peu polie. Athénaïs s'agaça du comportement irrévérencieux de la jeune fille et haussa un peu le ton.
— Jeune fille, je vous prie de bien vouloir éprouver un peu de respect à mon égard ainsi qu'à celui de votre père. Redressez-vous dans votre fauteuil et cessez donc de soupirer comme une va-nu-pieds.
Gabrielle s'assit correctement et jeta un regard noir à sa mère. Elle ne supportait plus ses remarques constantes et ses reproches permanents. Athénaïs ne se formalisa pas de l'air revêche de sa fille, elle avait pris l'habitude de son caractère maussade. Elle se tourna vers son époux.
— Très cher, êtes-vous prêt pour le souper ? Je vous rappelle que nous dînons tôt ce soir pour nous rendre ensuite à la messe de Noël.
— Je suis prêt, Madame. Je présentais simplement à Gabrielle les prétendants qu'elle rencontrerait lors du grand bal du Nouvel An organisé par sa Majesté.
Athénaïs prit un air approbateur et hocha la tête.
— Gabrielle, partez vous préparer pour le dîner et la messe, vous ne pouvez pas vous permettre de faire pâle figure.
La jeune femme se leva lestement et prit congé de ses parents. Elle retourna dans sa chambre et s'assit sur son lit, pensive. Elle ne voulait pas se marier, du moins pas tout de suite. Et ses parents s'arrachaient les cheveux de la tête à cause d'elle car, à dix-sept ans, elle n'était ni fiancée ni mariée. Elle était la benjamine d'une fratrie de dix frères et sœurs. Cinq frères et cinq sœurs. Ce qui inquiétait particulièrement ses parents, c'était que ses sœurs étaient toutes fiancées avant leur quinze ans. Elles étaient aujourd'hui mariées, avaient des enfants et menaient une vie bien rangée, comme devaient le faire toutes les jeunes filles de la noblesse française.
Carole, sa servante et confidente, vint la voir et lui présenta sa toilette pour le souper et la messe. La robe était magnifique, de couleur bleu nuit. Des motifs étaient brodés sur le tissu avec un fil argenté. Ils formaient de sublimes arabesques sur le drapé de la jupe. Carole aida Gabrielle à se préparer, tandis qu'elle lui racontait la belle promenade qu'elle avait fait dans les bois du domaine avec sa jument. Elle lui confia ses soucis sur les questions du mariage, mais aussi ses peurs. Elle n'avait jamais eu l'occasion de côtoyer des jeunes garçons à part ses frères, et on lui demandait maintenant de se marier avec le premier venu.
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Encore une valse
Tarihi KurguUn mariage arrangé avec un vieux noble peu ragoûtant, une rencontre fortuite avec un charmant gentilhomme poursuivi par sa réputation sulfureuse, une cousine aussi belle que teigneuse, des intrigues à n'en plus finir, telle était la vie qui attendai...