Opportunité

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La nuit tombe et les clients de seconde zone entrent dans la taverne : les ivrognes, les soldats, les escrocs, les pestiférés... La fine fleur d'Era.

Mon patron, un homme trapu, mais énergique, beugle de table en table, une jarre de vin coupée à l'eau de cactus entre les mains. Qui de mieux que l'homme qui tient la bouteille pour confier ses déboires.

Cela fait cinq cycles que je travaille ici. Ma mina lui louait une chambre pour ses activités professionnelles. Il paye mal et est laxiste sur les horaires, mais c'est le seul qui accepte d'engager un fils de femme.

En souvenirs de ta mère et pour la paix des dieux, qu'il répète. Tu parles, il est juste ravi d'avoir un larbin docile.

Qu'il profite tant que cela dure, je ne compte pas m'éterniser ici.

Je dépose la dernière chope sur mon plateau en verre et glisse jusqu'aux soldats en permission. Un par un, ils récupèrent leur pinte pendant que je laisse traîner mes oreilles.

— ... prépare la fête d'Ewadun. Donc c'est plutôt calme en ce moment, marmonne mon patron au chef de la garde.

L'homme en armure de bronze grommelle dans sa barbe parfaitement taillée.

— Mouais, tant qu'ils restent en bas, moi ça me va.

La Basse-ville, là où vit tout ce qui n'est ni riche, ni noble.

Mon patron hoche la tête, pensif.

— Vous allez augmenter les patrouilles pour la cérémonie ?

Je retourne au bar, mon plateau vide sous le bras, captant sans problème la fin de la conversation.

— Bof, pourquoi faire ? On renforcera juste les contrôles dans l'intermédiaire histoire de pas être trop embêtés lors du défilé dans la Haute-ville.

La garde d'Era mesdames et messieurs !

Je soupire intérieurement et retourne à mon nettoyage.

La conversation reste un long moment sur la fête à venir avant de dériver sur le trafic de poussière d'or. Le roi de l'ombre en aurait sorti une toute nouvelle version, bien plus addictive. Même si j'ai du mal à imaginer comment une drogue qui donne l'illusion de réaliser ses rêves pourrait être pire.

Je n'y ai jamais goûté, parce que mes rêves, je compte les matérialiser. La couronne de Tokarin Soren sera un jour mienne. Son trafic et l'influence du gang de l'ombre qu'il dirige lui valent le contrôle de la Basse-ville. Et, d'après les rumeurs, d'une partie de la noblesse.

Un jour, je le détrônerai.

Mais pour ça, je dois entrer dans le gang et monter les échelons.

Plus facile à dire qu'à faire.

Lors de ma dernière tentative, j'ai postulé comme vendeur de poussière. Un travail fastidieux et laborieux pour lequel ils ne recrutent que des montagnes de muscles prêtes à tabasser tout mauvais payeurs. Avec mon corps frêle et mon visage juvénile, je n'impressionne personne. Je me souviens encore des types qui m'ont recalé. De leurs semelles dans mon ventre, de leurs mots plus durs que leurs coups, de leurs iris noirs teintés de mépris et de supériorités...

Mon nouveau plan : la recommandation. Le piston, il n'y a que ça qui marche. Par chance, Castian Fildron, le second du roi de l'ombre, vient s'informer sur la garde auprès du patron chaque matin.

Est-ce viser trop haut ? Possible, mais ce n'est pas avec des plans limités que je sortirai de cet endroit.

Je passe une main dans mes cheveux, dégageant mon oreille très sensible. Assis au bar, trois vieillards se plaignent de leurs épouses qui n'ont probablement rien fait pour mériter leur médisance. Près du mur en craie, un jeune couple se regarde dans le blanc des yeux. Je suis seul témoin de leurs murmures mielleux. Les autres clients, plus proches des gardes, sont ratatinés sur leur siège, murmurant. Voulant manifestement éviter d'attirer l'attention de ces brutes.

L'ombre du trône : Je veux le pouvoir, la couronne et la gloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant