Chapitre 10 - Un Départ

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«Oui, j'ai quitté ce port tranquille,

Ce port si longtemps appelé,

Où loin des ennuis de la ville,

Dans un loisir doux et facile,

Sans bruit mes jours auraient coulé. »

« Adieu » d'Alphonse de Lamartine

« En sortant de la coque, un soir où nous nous dirigions vers Madras, je me suis retrouvée face à un groupe compact. Les hommes étaient massés en rond autour de ne savais quel nouveau spectacle. A la vue de l'attroupement, je ne me suis pas vraiment inquiétée, pour la simple et bonne raison qu'à cette période, tout était synonyme de distraction. Les marins s'intéressaient de manière surdimensionnée à tout ce qui aurait pu les divertir quelques secondes. Si bien qu'ils passaient une bonne partie de leur temps amassés sur le pont, à s'extasier pour trop peu. A rire un peu trop fort.

Généralement, le capitaine venait les disperser. Il arrivait, contrarié, et ordonnait à tout le monde de retourner à son poste. A ces moments-là, son regard passait du groupe aux alentours du navire. Eli m'avait dit qu'il cherchait les pirates. Ils étaient, apparemment, nombreux dans l'océan indien.

Je ne prenais jamais part à ces attroupements. A la place, je restais dans la coque ; seul lieu où l'air était encore respirable. Aussi, ce soir-là, j'ai juste contourné le groupe et me suis dirigée vers la proue du navire. Le ciel était dégagé, le vent ; presque frai. Eli m'avait dit que nous étions dans la saison des moussons ; un orage pouvait frapper à tout moment et en quelques minutes. C'était ce que nous redoutions tous.

Je me dirigeais vers l'avant quand j'ai entendu des cris. Les marins riaient de quelque chose au centre de leur cercle, quelque chose qui leur criait d'arrêter. Je n'avais pas beaucoup entendu sa voix -qu'une seule fois en réalité-, mais à ce moment-là, je l'ai clairement reconnue. Et j'ai fini par l'apercevoir. Le Capitaine du Dauntless était à terre. Un œil fermé, l'autre écarquillé. L'autre qui semblait découvrir pour la première fois ses hommes.

Il n'était malheureusement pas le seul ; moi non plus, je ne les reconnaissais plus. Je ne reconnaissais plus mes camarades, ceux avec qui j'avais passé de si longs mois.

Tu connais le terme de « mutinerie », Tim ? Bien sûr que tu le connais, mais j'espère au moins que tu ne l'as pas compris de la même manière que moi.

Quand j'ai associé le mot à la scène, j'ai eu peur. Pourquoi ? J'étais du bon côté, après tout, n'est-ce pas ? Cependant, qui étaient-ils, ces hommes qui entouraient le Capitaine ? Qui était Obediah ? Où était Eli ? Ils avaient tous le même regard, la même expression. Une tristesse et une rancœur immense déformaient leurs traits, si bien qu'ils avaient tous le même visage.

Je ne pouvais être de leur côté, je le savais. Je ne pouvais être de leur côté, je n'y arrivais pas. Parce que je ne les comprenais pas.

Alors je me suis précipitée au cœur du groupe. Les marins, croyant que je voulais participer, m'ont fait place. Mais quelle n'a pas été leur surprise lorsque, d'un cri silencieux, j'ai fait barrage de mon corps.

C'était ridicule ; j'étais si frêle comparée à ces hommes. Seulement, mon geste les a tellement surpris qu'ils n'ont, pendant un instant, su que faire. Pourquoi celui qui avait sauvé Obediah s'opposait-il maintenant à lui? Devaient-ils se demander. Pourquoi ? Je ne les comprenais pas, du moins, pas à ce moment-là.

Obediah a fini par s'avancer, tandis que les autres hommes élargissaient le cercle.

« Petit... Qu'est-ce qui te prend, hein ? M'a-t-il demandé. Ce gars-là, c'est une enflure, il ne mérite pas qu'on le défende. »

60 et un marinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant