Ce jour-là, Angus Drekins revint chez lui tout guilleret et plein de fierté. Il portait, sous son bras, une généreuse ration de feuilles de thé qu’il avait obtenues deux fois moins cher qu'à l'habitude. Et dire qu'il avait failli passer à côté de l'étalage ! se dit-il. Il n'avait d'ailleurs pas dû être le seul, et c'était sûrement pour cela que les prix avaient été cassés; ils ne devaient pas vendre grand-chose avec leur tête de brigands. Mais Drekins se moquait bien de ça, pour ce montant, ce devaient être d'honnêtes gens.
Angus remonta la rue exigüe qui menait à leur maisonnette et s'arrêta devant la vieille porte d'entrée pour reprendre son souffle. La petite bâtisse aux pierres blanches et aux murs attaqués par le lierre sembla se pencher pour lui venir en aide. Bien sûr, elle n'avait rien de vivant, il lui fallait seulement quelques réparations. Mais l'homme aimait à penser le contraire. Les toussotements de Drekins avertirent sa femme qu'il était de retour. Maggie Drekins, une femme d'âge moyen aux pommettes roses et aux cheveux grisonnants, ouvrit le battant et, en le voyant, s'empressa de le décharger. Elle poussa un grognement en découvrant la quantité de thé que son mari lui avait ramenée.
- On va en avoir pour les dix prochaines années, gros malin! rouspéta-t-elle. J'espère bien qu'il sera bon, le breuvage, surtout que c'est couteux ces temps-ci.
- C'est pas moi le gros malin, ma mignonne, c'est ceux qui m'ont vendu ces feuilles. Il peut bien être amer, pour le prix que ça m'a couté, on le donnerait à boire aux bestiaux !
Angus embrassa la joue ridée d'agacement de sa femme avant de s'installer dans le petit salon. Il y alluma un feu de bois, qui n'avait pas lieu d'être étant donnée la chaleur qu'il faisait en cette fin d'août. Mais Angus était comme ça, pour lui, le premier mai et le vingt-cinq décembre n'étaient pas si différents; il faisait froid toute l'année de toute façon.
La maitresse de maison secoua la tête et emmena le dit breuvage à la cuisine en grommelant. Parfois, son mari l'exaspérait tant qu'elle l'aurait bien laissé crouler sous le poids de ses achats.
Quand Mrs Drekins pénétra dans la petite cuisine poisseuse de leur maisonnette -qu'elle avait une sacrée peine à entretenir avec toute la poussière qui s'y introduisait -, l'heure du thé sonna. Elle remercia finalement son mari d'en avoir acheté en si grosse quantité; Mrs Jenner arrivait dans moins d'une heure pour le boire en sa compagnie. La femme essuya ses mains sur son tablier. Elle ouvrit ensuite le sac et fourra son nez dans les feuilles séchées de théine ; c'est qu'elles n'étaient pas de mauvaise qualité, ces feuilles. Bien en forme, bien odorantes, pas trop sèches. Parfaites, gazouilla-t-elle, pensant à l'expression de son invitée quand elle y goûterait. Pendant un instant de satisfaction intense, et parce que son mari n'était pas dans la pièce, Maggie se livra à un enfantillage. Elle plongea ses mains dans le sac et les remonta de sorte que les feuilles lui chatouillent les doigts. Mais en sortant les mains, une tache blanche apparut dans l'étendue verte. La vieille femme s'en saisit en fronçant les sourcils; c'était une liasse de papiers pliés et remplis d'encre baveuse. La matière était craquante, comme si elle avait été victime de l'humidité. Mrs Drekins était curieuse. C'était un vilain défaut, accordait-elle à ceux qui s'en plaignaient, mais si plaisant finalement... Et la liasse était un objet de curiosité trop important pour qu'elle prenne la peine de le combattre. De plus, elle était dans ses achats, ou plutôt dans ceux de son mari. Mais y avait-il une différence ? Ainsi, se persuadant qu'elle en avait le droit, elle rechercha le début du récit.
C'est au bout de quelques bonnes minutes qu'elle découvrit enfin ce qui lui sembla l'introduction d'une sorte de... lettre ? Mrs Drekins crispa les sourcils en commençant sa lecture.
« Mai 1617,
Qui que vous soyez, où que vous vous trouviez, veuillez faire parvenir cette lettre à Timothy Hodgkin, marin membre de la Company of marchants of London trading into the East Indie, résidant à Liverpool et naviguant à bord du Braket.
Je vous remercie. »
Maggie défronça progressivement les sourcils en relisant le petit message. "Non mais celle-là elle est pas gênée !" pesta-t-elle. "Elle fiche sa lettre dans mon thé, donc dans ma maison, et elle veut juste que j'envoie cette satanée lettre à ce satané monsieur ! Un marin qui plus est, j'ai horreur des marins !"
Elle releva la tête avec une petite moue ennuyée et, s'adressant au message comme si son auteur était présent, déclara:
" Je vais te l'envoyer, ta lettre de pacotille. Mais seulement si je décide qu'elle en vaut la peine."
La bonne femme sourit. Si son mari avait été là, il aurait dit que c'était mauvais signe. Mais comme il n'était pas présent, et qu'il n'y avait, de toute façon, personne à qui il aurait pu s'adresser, elle continua.
"Ce qui veut dire que je vais la lire ! "
D'un sourire malicieux et gourmand, elle replongea ses yeux dans l'écriture tremblante de la lettre.
Car Mrs Drekins était très curieuse, sachez le.
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60 et un marins
Ficção HistóricaMaggie Drekins était très curieuse, pas autant qu'Edith, mais déjà trop pour son bien.