Chapitre 5

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Mathias Solder

- on a qu'à y aller nous !

C'est ce qu'Olivia a dit, à peine la porte refermée derrière nous, et je suis persuadée qu'elle a exécuté toutes ses tâches dans la maison de Méline en remuant cette idée-là. Non pas que l'idée soit réellement exubérante, Olivia est doucement en train de se transformer en une forme de charité à elle seule, et elle finira par se détruire c'est une certitude. Qu'elle en soit pleinement consciente ou non, elle le fera, parce qu'elle a toujours été comme ça et qu'elle ne laisse absolument jamais le malheur s'insurger autour d'elle.

- Écoute Olivia, tu as 17 ans, tu n'as pas le permis, tu veux aller où ?

- Je ne sais pas mais ouvre les yeux ! Nous n'avons pas été ravitaillés une seule fois par des camions, je ne sais pas ! On s'est précipités à faire un inventaire au supermarché comme des moutons dans la matrice, parce que c'est ce que nos acteurs préférés font dans les films. Mais aucun d'entre nous ne s'est à un moment posé la question de pourquoi on ne nous ravitaillerai pas ? Je crois que personne n'y a pensé, comme si on était déjà dans une forme de vie apocalyptique.

- Tu penses pas aller un peu trop loin ? j'ai soupiré.

- Non. Elle a repris sèchement, Les camions auraient dû passer, sauf si la situation s'étend à une échelle grandiose ce qui m'étonnerait quand même relativement, je ne sais pas combien ils sont, ni ce qu'ils attendent de nous et de nos familles mais de là à enfermer peut-être le pays entier ça me parait improbable. Ils sont trop perfectionnistes, ils n'ont rien oublié, ils ont pensé à nous couper du monde avant même qu'on puisse penser l'être. Ils ne peuvent pas faire ce qu'ils ont fait ici partout sans aucune erreur.

- Ok, je n'ai pu que m'avouer vaincu par autant de réflexion, mais comment tu expliques les camions avec ce que tu dis ?

- Simplement. Dis-moi pourquoi aucun de nos proches n'est pas déjà là ? à se soucier de l'absence de réponses de notre part, tu as déjà essayé d'appeler quelqu'un qui n'est pas du village ? Brouiller, impossible d'entendre le moindre bip. En revanche si je t'appelle toi, aucun problème le réseau passe. Je suis persuadée qu'ils nous tiennent, qu'ils informent nos familles comme s'ils étaient nous, qu'ils ont manipulé les données informatiques pour annuler les ravitaillements des magasins et ce genre de choses.

- Ça tient debout mais Olivia, ça se voit quand un village arrête de fonctionner du jour au lendemain non ?

- Peut-être qu'ils expliquent aux fournisseurs qu'on se fournit à présent ailleurs point final. Ne pensent pas que ces gentils travailleurs vont s'embêter à se demander pourquoi nous avons catégoriquement changé de façon de fonctionner. Aucune entreprise ne dépend de nous pour fonctionner, à l'échelle du pays nous ne sommes rien.

Olivia a toujours été impressionnante de bon sens, jamais son esprit ne se repose. Ses yeux sont fixés sur ses Docs Martens, qui envoient valser le même caillou de mètres en mètres au fur et à mesure de son récit.

Une fois arrivé chez nous, Louis et Armand avec nous, chacun reprend des activités habituelles, Olivia est plongée dans un roman policier, Armand et Louis se battent pour jouer à je ne sais quel jeu, et moi j'ai vissé mes écouteurs sur mes oreilles et ai attrapé mon cahier d'art, même si je ne suis plus certain de pouvoir le rendre à qui que ce soit à présent.

Sans réellement me rendre compte, j'ai fait le croquis de la chaise en face de moi. Une idée m'est parvenue et m'a fait légèrement frissonner dans un premier temps. Depuis le début de cet enfer, une image ne me quitte jamais, une image simple mais effrayante, je me met à dessiner ce dessin qui a hanté toutes mes nuits depuis, et bientôt des débris jonchent le sol autour de la chaise, de la terre s'accumule à ses pieds, et un homme sans vie et ligoté est entré en scène au cœur du dessin.

Évidemment nous avons enterré tous les morts du village, du mieux qu'on a pu. Pour le coup, ceux comme Louis, qui n'ont réellement perdu personne s'en sont chargés en priorité, d'autres sont encore incapables de sortir de chez eux. Le traumatisme est grand pour tout le monde, chacun se souvient de la scène macabre de la première nuit. Chaque jour est une nouvelle mise en scène terrifiante ; des disparitions, des appartements retournés, le traumatisme ne cesse jamais. Il grandit, prend de plus en plus de place dans le cœur et le cerveau des gens et bientôt, certains essayeront de rejoindre leurs familles, j'en suis persuadé, la difficulté de la situation va continuer de s'accroître. Les gens ne dorment plus, vivent leurs nuits dans les larmes et l'angoisse. Armand et Louis vivent avec nous, et chaque nuit nous dormons ensemble, parce qu'être seul est insurmontable pour tous.

D'autres problèmes vont bientôt arriver, le froid et l'hiver se rapprochent et nous n'aurons jamais assez de bois, de gaz ou de fioul pour chauffer tout le monde. Nous avons évidemment quelques mois d'ici là mais la situation deviendra critique si nous avons à en arriver là. D'autant plus que nous ne savons pas comment faire revivre le peu d'usines qui sont à l'abandon dans le village, nous ne sommes pas des travailleurs et nous n'avons pas de compétences extraordinaires pour s'en sortir, et dans l'éventualité où nous arrivons à faire revivre des entreprises, elles aussi finiront par avoir besoin d'être approvisionnées.

Cette après-midi, Louis, Armand et moi devions partir faire du tri dans la petite boucherie de la ville, normalement la viande est conservée par le froid mais nous préférons vérifier que cette semaine sans entretien, n'avait pas fini par laisser ses traces sur la nourriture. Ensuite Louis s'est proposé pour dispatcher la viande qu'il restera dans les prochains jours ou semaines, en fonction du nombre de temps qu'il nous reste dans cet enfer.

Je regarde Olivia, elle fixe quelque chose au sol et ne semble absolument pas attirée par le livre qu'elle lisait. Je sais à quel point les livres et la musique sont l'exutoire d'Olivia et je prie pour qu'elle n'en perde pas le goût avec tout ce qu'il se passe. Elle est forte, je l'ai rarement vu pleurer, quand nous étions petits et qu'elle avait besoin de pleurer, elle partait se cacher dans un coin de la maison, la plupart du temps, il n'y avait que moi qui savait où la trouver. D'après notre famille, nous étions deux mais nos cerveaux ne faisaient qu'un, malgré le fait que j'aie pu être un enfant plus agité et plus naïf qu'elle. Nous nous comprenions et nous nous écoutions, d'une certaine façon, nous avons toujours été le support émotionnel de l'autre, sans le moindre tabou, sans la moindre limite, sans véritable vie privée.

Elle semblait préoccupée, et je sais qu'elle devait calculer toutes les possibilités de nous sortir de là ou de la façon dont nous étions arrivés dans cette situation. Elle avait déjà réussi à penser à des choses qui ne m'avaient pas encore effleuré l'esprit. Malheureusement, je crains qu'elle se détruise par le manque d'informations qu'on a et j'ai peur qu'elle soit tellement obsédée par cette histoire qu'elle en oublie de faire son deuil ou d'être réellement sensible à ce qu'il s'est passé. Le premier soir elle semblait détruite et Armand la soutenait parce qu'elle était incapable de bouger seule, aujourd'hui seules les cernes qui grandissent sous ses yeux démontrent de son manque de sommeil et de ses difficultés. Mais je me demande si ses difficultés sont dues au cauchemar personnel qu'on a vécu en rentrant dans cette maison ou s'il est dû au cauchemar collectif auquel elle ne trouve aucune réponse alors qu'elle voudrait aider et sauver tout le monde.

Je crois que sa façon à elle de s'en sortir, est d'aider les autres à s'en sortir eux-mêmes. Alors d'une certaine manière, leurs sourires nous rendront le sien.


Hello ! J'espère que ce chapitre vous a plu!


A bientôt !

Ici, tout est blanc. (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant