Chapitre 3

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Mathias Solder

Quelques minutes avant deux heures du matin nous étions dans le centre-ville où ce qui s'y apparentait. C'était en fait un grand parking plus ou moins entouré d'arbres, de lampadaires et de bancs, cela restait précaire et vide pour un centre-ville mais il était nommé ainsi davantage pour son emplacement géographique et son utilité que pour son attractivité. Olivia avait cessé de pleurer, Armand la retenait toujours, comme si elle était trop fragile pour marcher seule, pour être honnête c'était peut-être le cas, je ne l'avais jamais vu aussi livide et pourtant, Dieu sait que j'ai vu Olivia dans des états que nul autre ne lui a jamais vu. Nous nous sommes arrêtés pas plus de trente secondes devant chez Armand, il est rentré seul, est sorti et nous a expliqué que la scène était là même, « exactement la même », il avait précisé en reniflant, et nous n'avions pas voulu poser plus de question. Nous le savions.

Le centre-ville était rempli de jeunes, ils couraient et pleuraient, certains discutaient à voix basses entre eux, des adolescentes se prenant dans les bras à côté, en larmes. La scène paraissait lunaire pour tous, les faibles lumières de la ville peinent à laisser en lumière tous ces visages secoués par l'émotion. Les guirlandes de couleurs qui encadraient la place principale ne rendaient plus aucune gaité à l'endroit.

Nous avons retrouvé des jeunes de notre lycée, que nous connaissions, chaque constat était le même. Nous avons tous quitté notre domicile, pour une raison ou pour une autre. Une dispute avait éclaté entre deux filles, l'une criant sa détresse à l'autre, effectivement si son amie ne l'avait pas appelé elle n'aurait jamais quitté son domicile et ses parents ne seraient pas morts, l'autre hurlait qu'elle serait juste morte avec eux. Les tensions ont fini par se calmer entre les deux, puisque de toute façon, l'état de tristesse qu'elles éprouvent était le même. Armand et moi avons haussé le ton et demandé à tous de former des petits groupes et de rentrer chez eux, d'essayer de dormir, parce que malgré tout, il allait falloir le faire. Dormir dans ce genre de situation est difficile mais plus que nécessaire pour éloigner la folie. Nous leurs avons demandé de s'aider, au petit matin, à remettre de l'ordre chez eux, peut-être pour essayer de comprendre quelque chose et de prendre soin d'eux.

L'horreur que nous nous attendions tous à découvrir au petit matin, était claire. Nous imaginions des familles complètes, accrochées sur des chaises dans des maisons, des appartements ou des caravanes en ruine. Mais non, ce ne fut que des pères ou des grands frères au milieu des ruines, à chaque fois. Olivia n'avait pas eu la force de bouger pour venir voir ce qu'il se passait. Elle m'avait traité de monstre, parce que je n'éprouvais rien d'après elle, mais rien de tout cela n'était réel pour moi.

La panique avait complètement gagné notre petite ville, en deux jours, les pseudos-enterrement se succédaient. Chacun mettait du sien pour aider les autres, les appels incessants de la voix étaient les seuls qui détruisaient nos rythmes et nos nuits. Notre petite ville de Plouha devait compter 3000 habitants avant et nous sommes à peine 300 aujourd'hui, les disparitions s'enchaînent, chacun essayait de préserver son frère ou sa sœur, mais à chaque fois, dans une minute d'inattention ou de sommeil, les enfants disparaissaient.

Olivia m'appelle, je trouve cela surprenant car il est encore tôt. Je me suis levé ce matin pour venir en aide à une amie à ranger et nettoyer chez elle, j'avais prévenu Olivia qui était supposée se reposer, visiblement plus épuisée que moi, car elle était incapable de trouver le sommeil.

- Il y a un nouveau problème en ville. Tu devrais venir voir avec Julie.

Et elle a raccroché, sa manière à elle de me montrer que je n'ai pas le choix puisque je n'ai ni le droit ni le temps de m'y opposer. Évidemment je ne peux pas non plus avoir de la curiosité puisque, de cette façon, elle m'avait manifesté que je n'avais aucune question à poser, que je verrai en temps et en heure. Alors j'obéis la gorge serrée par le manque d'information de l'appel étant donné que rien n'est jamais réellement positif dans ce village.

- On décolle dans le centre.

Lorsque j'arrive sur la place, Louis, Armand et Olivia sont tous trois ensembles, plein de petits groupes sont formés, et ça me rappelle la première nuit. Je me suis imposé en « chef » cette nuit-là, d'une manière assez bancale à mon goût, mais ma voix et celle d'Armand ont suffisamment portées pour que tous se calment et nous écoutent. Sans réellement l'avoir cherché, nous avons lancé une forme de motivation qui a forcé l'entraide des uns envers les autres. Le souci c'est que maintenant, tous attendent de lui comme de moi, de tout savoir sur tout et de tout comprendre, chose que nous sommes tout autant incapable de faire.

Avant que je n'aie le temps de rejoindre mon petit groupe, une fille court vers Julie et moi. Elle a les yeux boursouflés, probablement par les larmes et par le manque de sommeil, elle est petite, ses cheveux blonds attachés dans une sorte de touffe remplie de nœuds et elle porte des survêtements qui ont visiblement l'air d'être sales.

- Salut Julie ! Mathias on attendait ton retour en ville ! On avait peur que tu disparaisses toi aussi !

- Sympa on dirait que c'est lui ton pote...

- Disparu ? Comment ça ?

Sans remarquer le commentaire de Julie, son amie se précipite pour me répondre.

- Des dizaines de jeunes ont disparu cette nuit ! Surtout les plus jeunes, et leurs grandes sœurs évidemment et toutes les familles qui y avaient échappé la première nuit, enfin même s'il y a eu un paquet de disparitions depuis... Là c'est tous ceux qui restaient ! Ceux comme moi, qui n'étaient pas à la maison à ce moment-là, elle sanglote, partie aider quelqu'un d'autre tu comprends... enfin j'ai reçu un appel tu vois... mais c'était trop tard ils étaient plus là... Toujours la même voix, ils vont nous rendre fous !

Julie la sert dans ses bras, elle est complètement chamboulée et elle pleure à chaudes larmes, ce qu'elle a sans aucun doute, vu l'irritation de ses yeux, déjà fait. J'essaye de faire abstraction de son état et de lui poser quelques questions pour réussir au mieux à comprendre la situation. Cette fille s'appelle Danae et ses deux petits frères ont disparu cette nuit, son père a été retrouvé mort la première nuit, comme moi. Je demande ensuite à ceux qui sont présents d'établir une liste de ceux qui ont disparu cette nuit, et des personnes qui ont été retrouvées mortes à nouveau.

Ce troisième soir, il ne reste plus aucun adulte dans la ville, ceux qui ont quittés le lycée cette année dominent, nous sommes les plus vieux et on nous fait complètement comprendre qu'on a la responsabilité de tous sur les épaules. La place se vide petit à petit, des petits groupes quittent ensemble l'endroit pour en rejoindre un autre où ils se sentiront le plus en sécurité possible.

- Ce que je ne comprends pas, en plus de pourquoi ils font ça et pourquoi la voix s'acharne... commence Olivia sur le trajet du retour, c'est pourquoi ils ont aussi pris la vie de jeunes hommes ? Ils n'étaient même pas encore pères ! Et pourquoi toutes les filles plus grandes que nous ont disparu aussi ? Nous n'avions même pas remarqué hier soir que nous étions aussi seuls ! Je...

- Écoutes Olivia, je suis désolé mais c'est encore tôt pour tout comprendre, enfin on ne comprend rien ! Ouvre les yeux ! Sur quoi on a trouvé des réponses ? Absolument rien !

- Comment tu voulais qu'on le fasse ? On a nettoyé toutes les maisons ! Toutes les preuves ! Je n'ai jamais été d'accord pour ça !

- On n'est pas flics Olivia d'accord. Tu voulais vivre dans la terre, dans le bordel et avec un cadavre dans la cuisine peut-être ? Tu penses que les gosses de la ville étaient près à vivre avec leur père raide dans le salon ?

Elle ne me répond pas, elle pleure en silence, elle déteste que je parle d'une façon aussi radicale mais la situation devient difficile globalement pour tous. Le manque de sommeil et la douleur que nous ressentons font baisser notre contrôle sur nos émotions. Les questions sont quotidiennes, trop quotidiennes, et personne n'a de réponses à rien. Les possibilités d'avancées sont minimes et je n'ai pas envie d'avoir ma sœur en plus de tout le village sur le dos pour me poser des questions auxquelles je n'ai pas plus de réponses que les autres. Je sais qu'elle le comprend, mais que sa colère face à mes réponses est quand même présente.

- Désolé. Je lâche, et le silence reprend.


Hello ! J'espère que ce chapitre vous a plu ! 


A bientôt !

Ici, tout est blanc. (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant