Scène 9 - Les bas-fonds

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Il devait être 22h à Invisity, la bulle prenait des couleurs plus tamisées et les grands patrons de ce monde regagnaient leur villas tandis que quelques fonctionnaires du gouvernement tâchaient de ne pas s'endormir sur leur bureaux de travail. Même les gardes et les Veilleurs commençaient à fatiguer et certains d'entre eux rejoignirent leur baraque en prévision de la prochaine journée de veille. À l'étage administratif, le décor demeurait ressemblant, mais avec moins de richesses et plus de travailleurs faisant des heures supplémentaires à n'en plus finir. Deux exceptions: ces immenses complexes dans le quartier sud; le plus grand hôpital et la plus imposante caserne de pompiers étaient encore en fonction. Surveyants, Flaymm et Sentinelles, le trio qui protège la CVVT, aussi corrompue qu'immaculée et maintiennent un pseudo ordre face aux criminels souhaitant la destruction, ainsi que les corporations, à peine légales, cherchant toujours plus, encore et encore, à étendre leur influence sur les plates-bandes du gouvernement. Un étage noble qui puait le vice. En descendant encore, on arrivait à la zone marchande; tout un étage de magasins, à une telle heure, les marchés et les simples vendeurs étaient déjà fermés. Cependant, la vie nocturne de cet étage du divertissement était illuminée de néon et de fêtes à chaque coin de rue. La plupart sans notcool ni stims à cause des réglementations sur les substances faisant perdre le contrôle sur soi. Des règles d'ailleurs plutôt acceptées par la population en cet année de grâce 3980, certes quelques trashers en font le recèle mais rares sont les androgyn devenant leur clientèle, après tout, depuis cette prévention liée aux Sanos, les substances illicites ont perdu leur crédibilité aux yeux de la population; en consommer n'était plus un acte de rébellion mais seulement une preuve de son propre manque de personnalité. Enfin bref, même sans cela, les gens savaient apparemment s'amuser, et, tandis que certains dansaient, d'autres se dénudaient pour la premières fois, et à mesure que la soirée avançait, ils en profitaient ou allaient simplement se reposer à l'étage inférieur: La zone résidentielle.

Ici, les quelques amusements, vites punis par la police de nuit s'ils faisaient trop de bruit, étaient tous d'ordre privé: une soirée entre amis ou en famille, après tout, avec le système vindictien, les gens ne travaillaient jamais en même temps, chacun avait son horaire, et, de ce fait, alors que certains dormaient pour le prochain jour de travail, d'autres fêtaient leurs vacances bien méritées. Pas grand chose à noter, seulement des immeubles enchevêtrés les uns contre les autres, de tailles, de beauté et d'allures différentes. Des habitations, des résidences, séparées de parcs et de petites épiceries qui ne semblent jamais fermer. Des fast-food livrant à des heures pas possibles de jeunes gens vivant en différé, et ainsi de suite; rien d'impressionnant si ce n'est l'évidente incompétence des architectes de l'endroit.

Enfin, nous descendons à l'étage industriel, le plus profondément enterré car les déchets produits et les gaz éjectés sont tous suffisamment lourds pour se poser au sol avant de fondre dans la terre, ou, plus réellement, d'être jetés au cen même de l'endroit, à la croisée des quatre cardinaux: la fosse menant à Trash'n'Crap, une immense déchetterie creusée à la base d'une grotte dans laquelle personne ne souhaite aller. Cette poubelle géante qui étrangement ne se remplit jamais permet aux Vindictiens de produire avec abondance sans même qu'un quelconque souci écologique ne rentre en scène, les grands pouvant donc profiter d'une prodigieuse croissance, et les petits du plein emploi. À cette heure-ci, cependant, il n'y a plus que des gardes veillants sur les entrées de mines, d'entrepôts ou de centrales privées; tout marche au ralenti et les seuls qu'on entend trainer dans les rues, dont les pas résonnent dans toute la zone, sont les patrouilles sentinelles s'assurant de décourager les quelques trashers qui tentent de profiter de l'accalmie. Et c'est tout. Les serres encores allumées de Fermerie, la centrale Xithus corp, la raffinerie Galaïs industries, et même les fabriques M.A.K., toute cette belle panoplie d'entreprises, toutes sont fermées et ne rouvriront que demain, à une aube invisible dans les souterrains que sont ces villes tanières, seuls abris de l'Androginity sur cette planète faite de cataclysmes et d'apocalypses rappelant la fin des temps à l'extérieur: Vindicta. Et il n'y a rien d'autre, seulement des grottes et des souterrains grouillants de SAVs; des animaux dangereux, pas autant que les Kiels, certes, mais suffisamment pour tenir leur territoire face à la civilisation. Du moins, c'est ce que la version officielle raconte.

La CVVT nullifie au maximum l'existence des Trashers, ou tout du moins, elle tente de cacher la manière dont on peu les rejoindre, ne parlant que de planque dans des régions abandonnées sur certaines extrémités, notamment de la zone résidentielle, car un ennemi chez soi, est bien plus simple à gérer qu'un ennemi chez lui. Ainsi donc, les bas-fonds sont considérés comme de simples petits terriers extrêmement bien défendus par la majorité de la population, mais en réalité, il s'agit d'une nouvelle ville, grouillante, aux lois anarchiques, juste en dessous de la zone industrielle, l'on dit même qu'à Befastinger, la version Trashers est plus peuplée que la légale tant ils se sont reproduits sans limitations et ont créé une nouvelle vie dans ces déchets et ces résidus toxiques. C'est d'ailleurs de là que vient le nom trasher, de la principale source vitale de Trasher's Place: l'immense décharge. Nourriture, matériel, eau polluée, tout ce qu'on désire est trouvable dans cet endroit par défaut réservé aux criminels et aux marginaux.

Une femme prit alors une grande inspiration au milieu des ruelles délabrées, des meurtres normalisés et des insupportables odeurs chimiques. Elle semblait se détendre, étirant ses larges épaules pour une androgyn féminine, dévoilant une certaine musculature sous son haut taillé juste en dessous de la poitrine, déchiré au niveau de son trapèze droit, affirmant qu'il n'était pas vraiment de première main. Il s'agissait de Kaayl', la seconde du RK gang dans un habillage bien plus sobre et pauvre qu'à son habitude, s'adressant à la Nezav du groupe: Arkalya.

-Aaaaah, ça fait du bien d'être de retour à la maison.

-C'est sûr qu'il fait meilleur que pendant l'ORB.

-J'te rappelle que j'ai la moitié de ton âge, strictement aucune idée de quoi tu parles la vi..

-N'oublie pas que même mon amour envers toi a des limites, gamine.

Après avoir rappelé qui commandait avec un regard assassin et des tatouages bleutés commençant lentement à briller le long de son bras gauche, Arkalya souffla avant de demander:

-Alors, c'est fait ?

-Yep, mais tu crois vraiment que c'est le moment, j'veux dire, on parle d'Invisity là, la capitale du monde, pas Zeruf ou Furez.

- Parce que tu crois que quelques millions d'habitants suffiraient à nous protéger des répercussions de nos actes ? Ils en ont rien à foutre là-haut des randoms. Aucun siège de faction majeure, aucun V.I.P. du gouvernement, rien d'important pour eux. Kamelia, tu sais déjà pourquoi c'est pas possible, Befastinger, je sais pas si tu te rappelles mais son surnom c'est la "citadelle des âges", alors je sais pas toi mais perso, pas envie d'une attaque suicide. Et pour Edgeria. En plus de l'Armada toujours en place; une foutue sous-faction ENTIÈRE des sentinelles, il y a l'Archimencien et tous ses archontes qui se ramènent, autant dire que c'est la plus imprenable. Dernière option: Invisity.

-Ouais mais j'ai entendu dire que Jyoradim était à Invisity, t'as pas peur qu'il fasse tout foirer ?

- Tss, heureusement que t'as de la chance parce que clairement t'es incapable de voir plus loin que le bout de ton nez. Avec tout le bruit qu'on a fait pendant le Raid, Gent's et Mel vont forcément se rendre compte de quelque chose, ils devraient bientôt se dévoiler.

- Tu parles bien en ce moment, la pause t'as été bénéfique on dirait.

Sur l'acquiescement nonchalant d'Arkalya, les échos de la discussion entre les deux femmes se dispersèrent dans l'oubli et le silence de ces vaisseaux sanguins oxydés que sont les bas-fonds.

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