Scène 14 - Un Deuil au plus beau jour de l'année

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Dans une bâtisse étrange au toit ancien, aux murs blancs et à l'ambiance glauque se trouvaient réunis les hauts pontes de la faction la plus en vogue du moment; Da RK Gang, qui semblait préparer un immense coup il n'y a que quelques Faims de cela, se retrouvait ici, à ne rien faire si ce n'est se tourner les pouces en inspectant la profondeur du vide.

- Merci à tous et à toutes d'être venus, ça me fait chaud au coeur, vraiment... Je ne sais pas si vous êtes là pour son père ou parce que vous aimiez ma petite, mais je m'en fiche, vous êtes là... c'est le plus important.

Un applaudissement silencieux de la salle s'élevait tandis que la mère de Phynexia gardait ses larmes pour elle face à l'audience, enfouissant son âme pour plus tard, elle ne voulait pas encore une fois se faire marcher dessus par tous ces monstres qui lui avaient arrachée sa fille, par ce mari sans aucun amour pour elle, qui ne voulait qu'un enfant de sa part et de cette foutue culture de la force, de la puissance, qui les poussait à devenir "meilleurs". Qu'est-ce qu'il y avait de meilleur à ça ?

Quelqu'un se leva finalement à son tour alors que la mère esseulée n'était même pas encore partie de la pièce. Ce n'était pas Krayn, contrairement à ce qu'elle pensa aux premiers instants, ni un membre de sa famille, ou sa belle famille, après tout, les premiers l'avaient rejetée et les seconds étaient tous morts, non, ces pas étaient bien plus souples, moins bruyants, tendres, c'était... De la compassion qui se dégageait de l'allure de cette personne à qui elle tournait le dos. Ne faisant qu'observer sa fille, là, allongée dans son linceul blanc, encore avec elle, le visage sans soucis, aussi pur qu'il l'avait toujours été. Quand finalement, la main de cette étrange Androgyn se posa sur l'épaule de la mère au chagrin muet.

Pas un seul mot ne sortit de la bouche de cette femme. Elle avait le regard sévère, mais pas tourné vers qui que ce soit, son visage ressemblait à la fois à celui d'un enfant et d'une matriarche. Des yeux bleutés, une coiffe qui semblait tenir d'elle-même, traversée par des courants de Rose de Mow, de cyan glacé et d'autres couleurs si rares qu'on les croirait impossibles dans la nature. Ce visage sans artifice, c'était celui d'Arkalya.

Les deux femmes échangèrent alors une idée silencieusement, un état de fait, ou un souvenir, qu'elles partageaient entre elles-deux. La mère qui haïssait pourtant tout ce que celle qui lui faisait face représentait sembla pourtant être calmée par cet échange muet, comme si on lui avait remémorer une chose belle, une chose triste, une chose qui changeait son regard et qui lui fit oublier son envie de flancher. Elle se redressa, fit un signe de tête, comme un adieu au gang, avant de partir par la porte secondaire, sur le côté de la pièce et menant à des endroits moins solennels, elle avait sûrement besoin d'être seule. Krayn se leva à son tour tandis qu'Arkalya laissa la place.

- J'm'attendais pas à ce qu'Helly ou B ne viennent, donc j'leur en veux pas. Par contre, Kaayl', j'espère que si tu m'entends t'iras crever seule. Comme ma fille... J'crois que j'suis censé dire quelque chose. J'ai envie de tout détruire. De vitrifier l'endroit et de vous carboniser, je sais pas pourquoi, mais c'est tout ce qui me vient en tête, là. J'veux tout brûler. Elle est morte par ma faute, car j'étais pas là. Et de la tienne Ark', qui m'a donné ton ordre, et de toi Gem' qui a été incapable de veiller sur elle. Et de toi Hiro, qui l'a emmenée hors de notre territoire. Et de toi, Xsanders, qui a rien blairé, comme d'hab. C'est la faute de chacun d'entre nous. Et vous savez aussi bien que moi qu'elle était la prochaine génération, meilleure que nous et qui voyait bien plus grand. C'est pour ça que vous êtes venus, pas parce que j'vous tuerais en regardant votre chaire fondre sous vos yeux si vous ne l'aviez pas fait, nan c'est parce que vous saviez à quel point c'est un drame pour nous, et tous les Trashers. J'vois aucun faible ici, c'est pour ça que j'suis fier de pouvoir clamer haut et fort que ma fille n'est pas morte "seule"...
Alors j'aimerais bien pouvoir poursuivre ses idéaux, et faire à sa place ce qu'elle aurait voulu faire... Mais j'ai strictement aucune idée de quoi il s'agit, puis, même si j'le savais, je pense que seule elle en était capable. Nan, j'vais faire ce que tout père ferait, enfin, plutôt ce que n'importe quelle brute comme moi ferait. J'vais me venger, pas faire justice, non. J'vous l'ai dit: Tout brûler.

On voyait qu'à chaque instant de son discours, la température montait dans le corps de Krayn, ou plutôt, on le sentait plus exactement, car la chaleur maculait toute la pièce, son œil devenait feu et finalement, un homme encapuchonné entra dans la pièce.

Il était discret, bien qu'il passait par la grande porte, ses pas étaient lourds, comme ceux de Krayn, lui aussi portait le chagrin. Dans sa sorte de robe entièrement noire, cachant chaque parcelle de son corps sous un voile d'ombre et d'habits incolores. Il arriva jusqu'au niveau du père qui sembla surpris, presque terrorisé par la venue de cet étrange personnage. Il était choqué, comme chaque personne de la salle.

- Bonsoir, mon frère. Avait annoncé l'homme une fois arrivé face à Krayn, juste devant l'autel. Sa voix était douce, agréable, elle endormait presque, faisait rêver plus exactement, et rappelait la pureté de sa nièce dans chacun de ses mots, prononcés aussi lentement qu'intelligiblement, et choisis avec exactitude.

- "Qu'il n'est deuil d'en secundus des Vye." Psalmodia l'homme en couvrant le crâne ouvert de sa nièce avec la paume de sa main. Elle était morte d'une balle dans la tête et n'allait pas ressusciter. Mais au moins, son corps, lui, serait complet lorsqu'elle partirait. Une chaleur se dégageait du cercueil, une chaleur agréable et irritante à la fois, brûlante et faisant froid dans le dos. Glaciale. La chaleur du frère jumeau de Krayn. Celui qui ne devait pas exister. Un être oxymorien; fait de contradictions, vivant ou mort, dévoilé mais demeurant caché sous ses vêtements. Il éleva à nouveau sa voix suave et tout le monde obéit sans détour:

- Allons, laissons leur faire leur travail.

L'assemblée sortit alors de la salle, fermant la porte principale derrière elle et ne laissant que deux Androgyns qui n'avaient pas grand chose à voir avec le RK, seuls, avec la défunte.

- Elle est où ? Hein ? Pourquoi cette timp est pas venue ?
- Calme toi Krayn, elle doit bosser. Elle est même pas au courant.
- Putain donc c'est ta faute si elle est pas là ?
- Elle doit se concentrer sur son travail, elle aurait laissé en plan toute l'opération si je l'avais prévenue.

Krayn prit Arkalya par le col tant il était énervé, la dépassant par deux têtes et commençant à brûler de la bouche, des yeux et au niveau de ses joues.

- J'te conseille de te calmer immédiatement, Krayn. La cheffe suprême du RK, elle, restait extrêmement calme, bien plus froide avec son lieutenant qu'avec la femme de ce dernier, le regardant droit dans les yeux sans une seule once de peur. En même temps, c'était normal; tout le monde regardait la scène. Ils n'étaient pas spécialement sur leur garde pourtant, ne faisant qu'observer l'homme au teint d'ébène se faire déconfire par le charisme de son évidente supérieure. Le tatouage étrange sur le bras droit de la femme commença à luire quelques instants avant que la torche humaine ne la lache en tentant de garder la face en changeant de sujet.

- Ils en mettent du temps..
- Ce ne sont pas des professionnels comme les portes-cendres, mon frère. Simplement des enfants essayant de faire de leur mieux.
- Ouais, voulant plutôt se faire mousser auprès des autres du quartier pour avoir aider le grand RK Gang. Et déjà, qu'est-ce que tu fous encore là toi ?

L'encapuchonné n'eut pas le temps de répondre que les enfants sortirent à leur tour, fermant la porte tandis que Krayn, sur le point de la défoncer pour enchaîner au plus vite, ne pouvant plus supporter tant de monde dans sa sphère intime plus longtemps, fut interrompu à son tour, par sa femme. Son regard avait changé, elle avait repris un peu du poil de la bête et semblait demander à son mari de lui parler en privé, un peu plus loin.

Laissant ses collègues, il s'exécuta sans trop ronchonner, il lui devait bien ça le jour de la mort de sa fille, même s'il ne prévoyait pas vraiment de l'écouter.

Dans le couloir, donc, Krayn et sa femme discutaient à voix basse. Mentionnant divers problèmes de leur couple sans jamais s'énerver; ce n'était pas faute d'avoir essayé du côté du ponte, mais il ne pouvait tout simplement pas y arriver face à une muraille de calme, voire même, de froideur, lui pourtant si souvent colérique, il finit par ployer genoux et écouter ce que sa compagne avait à dire.

- Tu as compris ?
- Hmm.. Mouais ça n'empêche qu'elle était ma raison de vivre cette gosse...
- Dis son nom.

Krayn eut comme un mouvement de rejet, ou de tristesse, avant de se relever lentement, invitant sa femme à le suivre après quelques secondes, comme s'il avait dicté quelque chose intérieurement, quelque chose qui ne voulait pas sortir.

Finalement, le duo arriva au niveau des autres avant de se diriger vers la pièce principale. Là, le cercueil attendait patiemment, fermé. L'un des deux adolescents, en queue de fil, leva un sourcil: "On l'avait pas laissé ouvert ?"
Avec une réponse plutôt douteuse de son camarade tout aussi incertain que lui, ils finirent par laisser tomber la chose avant de reprendre la tête, avançant solennellement jusqu'à la caisse morbide pour venir la prendre à deux et la soulever vers l'incinérateur. Après tout, dans Vindicta, l'on croit à la crémation, car les cadavres étaient les morts "non officiels", ceux ayant disparu dans des circonstances étranges, jetés au fond de Trash'n'Crap et qui finissaient bouffés par les bestioles de là-bas. Privant l'âme de sa liberté, et la famille de la protection de cette dernière. Une après-mort bien trop atroce pour une si gentille fille. Le convoi arrivait jusqu'à l'incinérateur qui brûlait presque aussi fort que les flammes de Krayn. On ouvrit le tunnel ardent et chaque personne en deuil vint toucher le lit éternel de la jeune RK. Sa mère était la dernière à le faire, mais il restait encore une dernière personne, semblant hésitante.

- Je veux la voir. Je veux voir Phynexia une dernière fois.

Ce n'était pas vraiment dans les codes mais personne n'eut vraiment le choix, et, même si cela aurait put être le cas pour une femme comme Arkalya, elle n'eut pas le cœur à refuser un dernier souhait à un père, aussi mauvais demeurait-il.
Krayn se plaça alors sur le côté du cercueil pour que les adolescents n'aient à ouvrir que la partie haute. Le bois grinça, et sous ce dernier se révéla la mousse blanche, immaculée, ne portant rien si ce n'est qu'une ombre choquant chaque membre de l'assemblée, mais surtout Krayn, totalement dépassé, qui invoqua mille et un jurons dans un cri de folie où il déchaîna tout son pouvoir:

- OÙ EST MA FILLE !?

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