Chap 4 - Premier message

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[23 novembre, 23h42]

Je marchais vivement dans les rues animées de Boston, sans traînasser, à la fois aux aguets et perdue dans mes pensées.

J'en avais vu des choses, en vingt ans de vie. Mais ça ? Ça, c'était nouveau. Cela faisait dix minutes que je me rejouais toute la scène dans la tête, encore et encore.

Je passai devant un groupe de jeunes qui devaient avoir quelques années de moins que moi et qui m'ignorèrent en riant. Je me demandai ce qu'ils faisaient dehors, si tard et seuls. Quelle était leur histoire. S'ils n'avaient pas quelque part où aller. Des parents. Une maison.

Ou s'ils n'avaient rien de tout ça.

Un bruit sous mes pieds me fit m'arrêter, un bruit de froissement. Baissant les yeux, je vis une feuille de journal qui traînait sur le trottoir. Je me baissai pour le saisir, curieuse. Cela faisait longtemps que je n'avais pas suivi l'actualité.

En première page : Les enlèvements continuent, une jeune adulte nommée Julia Brook est disparue ce matin 23 novembre. Le réseau Belle de Nuit est suspect numéro 1.

Je tressaillis et, par réflexe, jetai un regard autour de moi. Les enlèvements. J'étais au courant, bien sûr, ça faisait des années que ça durait. Carol Been, Eva Olmen, Lucy Gawer, et maintenant Julia Brook, il y en avait tellement eu que je ne parvenais pas à retenir tous les noms.

Étrangement, même si Boston n'était pas épargnée, au contraire, je n'avais jamais été réellement... inquiète. Dans ma tête, ça faisait partie des choses qui n'arrivaient qu'aux autres. C'était trop distant, trop improbable, trop impossible, je n'avais rien d'intéressant, rien d'attirant, j'étais trop quelconque. En plus, ma mère n'avait pas d'argent pour un échange, et mon père...

J'eus un petit sourire que je ne parvins même pas à définir moi-même. Mon père ne connaissait probablement pas mon existence. Alors, payer une rançon... ce serait un très mauvais calcul de la part d'éventuels kidnappeurs.

De toute façon, la rue dans laquelle j'étais désormais était assez fréquentée et illuminée pour que quelqu'un me vienne en aide si besoin. C'était une rue commerçante : de chaque côté de la route, s'étalaient des magasins aux enseignes lumineuses, des restaurants remplis et des bars où la musique battait son plein. Des passants marchaient tranquillement en discutant, et les voitures défilaient fenêtre ouverte. Je sentais une odeur de nourriture absolument délicieuse, et mon ventre gronda.

Mais, même si m'attarder ici ne m'aurait pas déplu en temps normal, je ne voulais pas traîner cette fois-ci. La scène du Diana's Night était encore bien trop fraîche et incompréhensible dans mon esprit. Je n'avais pas la tête à me distraire.

Laissant la feuille de journal derrière moi, je pressai le pas en direction de l'appartement, que j'atteignis rapidement. J'entrai silencieusement en refermant derrière moi.

- Maman ? chuchotai-je.

L'espoir d'une réponse.

Même si c'était pour m'engueuler d'être sortie seule, si tard.

Mais rien. Elle devait être partie. Elle partait souvent, la nuit. Est-ce que, comme moi, ma mère allait faire des promenades nocturnes pour se vider la tête ?

Non, elle le fait déjà très bien avec l'alcool.

Parfois, petite, je me réveillais au moment où elle s'en allait, et de temps en temps je la suppliais de m'emmener avec elle. Elle avait toujours refusé. Elle allait travailler, disait-elle, et une petite fille n'avait rien à faire sur son lieu de travail.

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