Chap 12 - Maman et Dorian

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[26 novembre, 8h45]

Cela faisait longtemps que je n'étais pas entrée dans la chambre de ma mère.

La dernière fois, c'était il y avait trois ans, pour récupérer un paquet de cigarettes qu'elle m'avait volé. Et la fois d'avant... remontait à mes douze ans.

Je n'avais raconté ce moment à personne, pas même à mon frère. Cette nuit-là, j'étais seule dans l'appartement. Dorian était parti à une soirée chez des amis à lui, et je l'avais entendu se disputer avec notre mère avant de partir. Il lui demandait - lui ordonnait - de ne pas partir cette nuit, de ne pas me laisser seule. Mais maman était quand même partie, vers vingt-trois heures, sans un au-revoir, sans un bonne nuit. Elle pensait sans doute que je dormais. Je ne dormais pas.

Vers minuit, l'orage avait éclaté. Et, sans savoir pourquoi, je m'étais réfugiée dans sa chambre, entre ses couvertures, apeurée. Je ne m'étais pas endormie ; mais, étrangement, l'odeur de cigarette mêlée à son parfum naturel m'avait un peu réconfortée. Quand j'avais entendu les clés de Dorian dans la serrure, j'avais rejoint mon lit à toute vitesse. J'avais douze ans. Ce n'était pas un âge pour avoir peur des orages.

Je secouai la tête pour en chasser les souvenirs. Aujourd'hui, je ne venais pas me faire consoler. Je venais pour avoir une information. J'avais répété mon texte sous la douche, je savais exactement quoi dire.

- Maman ?

Je voyais le corps endormi de ma mère sur le matelas, entortillé dans la couverture. Elle avait rejoint son lit entre le moment où j'étais passée prendre une bouteille d'eau et où nous étions revenus, Dorian et moi.

- Maman ! répétai-je plus fort.

Elle redressa la tête vivement.

- Que... Ezra ?

Sa voix était éraillée.

- J'ai besoin que tu me dises quelque chose.

- Deux secondes, tu veux ?

Elle se leva lentement. Elle me parut encore plus décharnée que la dernière fois que je l'avais vue.

Elle me dépassa d'un pas traînant et alla jusqu'à la cuisine, dans laquelle elle se servit un verre d'eau et un cachet d'aspirine. Après quelques secondes, elle se tourna vers moi.

- Quoi ?

Sa voix était rude, mais je mis ça sur le compte de la fatigue.

- J'ai besoin que tu me dises où habite le père de Dorian.

Le verre lui échappa des mains et se fracassa par terre en répandant son contenu sur le sol. Ses yeux écarquillés, aussi bleus que les miens, croisèrent mon regard.

- Q-Quoi ?

J'avais prévu cette réaction. Depuis toujours, les informations qu'elle lâchait sur nos pères respectifs, à Dorian et à moi, étaient aussi rares que brèves. J'avais ainsi appris, au fil du temps, que mon père était un New-Yorkais marié en voyage d'affaire, qui avait fréquenté ma mère pour une nuit avant de disparaître au matin. Le rêve.

Quant au géniteur de Dorian, nous en savions encore moins. Juste qu'il habitait à Boston dans le quartier le plus riche de la ville. D'un certain côté, je m'étais toujours demandé ce qui l'empêchait, puisqu'il avait autant d'argent, de nous aider un peu lorsque la pauvreté se faisait un peu trop ressentir... pas jouer les pères, non, c'était trop demander, juste nous aider financièrement de temps en temps. D'un autre côté, je savais que ma fierté en aurait pris un coup. Comme maintenant, où l'idée que dans quelques heures je serais en train de le supplier de nous prêter de l'argent me dégoûtait profondément. Mais l'heure n'était plus à mon ego.

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