Chap 10 - Non

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[26 novembre, 00h32]

Non.

Non.

Non.

Je n'étais pas capable de penser autre chose. Juste Non, comme un mantra, un rythme rassurant.

Non.

Non.

Non.

Pour une fois, même ma conscience me laissait tranquille, probablement aussi sonnée et choquée que moi. Mon esprit était réduit à un vaste bourdonnement sourd qui étouffait les quelques pensées qui tentaient de remonter à la surface.

Non.

Non à Seth, non à tout ce bordel qui en quatre jours s'était installé dans ma vie sans même que je sache pourquoi. Non à Dorian qui refusait à me dire quoi que ce soit. Non.

Je levai les yeux vers le ciel au-dessus de moi. Si Boston n'était pas si illuminée, j'aurais pu voir les étoiles. Mais la pollution lumineuse m'empêchait d'admirer la seule chose qui aurait pu m'apaiser. On sous-estimait gravement le bien que pouvait procurer l'observation de petits points luisants dans le noir.

Respire.

Je ne devais pas me laisser submerger par mes émotions, je ne devais pas céder à mes pensées, me noyer dans mon esprit. Je savais que je ne parviendrais pas à refaire surface. Je ne devais pas lâcher prise...

Respire.

Une inspiration après l'autre, je m'ancrai à la réalité. M'éloigner de ma tête. Me dissocier des émotions brutes que je ressentais puissance mille.

Respire.

Seth avait lâché une nouvelle bombe. Une bombe que je serrais encore dans ma main à l'heure actuelle, une bombe qui avait la forme d'un petit carton carré.

Puis, après m'avoir une nouvelle fois pétrifiée sur place avec aisance et facilité, il s'était volatilisé. Comme ça. Trop chamboulée, je l'avais à peine vu se lever de son tabouret et se mêler à la foule en se frayant un chemin parmi les danseurs. Combien de temps étais-je restée assise sans bouger, les yeux fixés sur la carte ? Aucune idée. Au moins quinze minutes. Quinze minutes à essayer de contenir mes sentiments et à tenter de parquer mes pensées, qui n'en faisaient qu'à leur tête.

« Belle de Nuit ».

C'était le nom inscrit sur les journaux, l'unique piste de la police face aux enlèvements.

C'était le nom inscrit sur la carte de visite dans ma main, l'unique proposition de travail que j'avais reçue.

Non.

Proposition de travail.

Si ce Seth était bien à l'origine de ce prétendu réseau Belle de Nuit, c'était lui qui orchestrait les enlèvements. Le trafic de femmes.

Étais-je complètement foutue ? Je le voyais bien me kidnapper pour me contraindre si je refusais d'accepter de mon plein gré. C'était sans doute ça qui était arrivé à Julia Brook, Eliza Maonel et les autres filles. Est-ce qu'il comptait me kidnapper ? Pourquoi faire ? Qu'est-ce que j'avais de spécial ? Qu'est-ce j'avais à lui apporter ? C'était quoi, ses putains de qualités requises ?!

Mon corps fut parcouru d'un long frisson, et je sentis un sanglot jaillir d'entre mes lèvres. Je me faisais rattraper par moi-même, la semi-bulle de neutralité dans laquelle je tentais de m'enfermer se fissurait déjà. Deuxième sanglot. Ma gorge était si serrée que j'avais du mal à respirer. Non, je ne respirais plus, ma poitrine me faisait mal comme si un poids était posé dessus, chaque semblant d'inspiration me comprimait les poumons, l'air ne passait plus dans mon corps, mon angoisse obstruait chaque passage. J'eus soudain la nausée, comme si la peur logée dans mon ventre essayait de sortir et de s'exprimer par tous les moyens possibles. Troisième sanglot, puis quatrième, cinquième...

Belle de NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant