Il termine son cinquième verre cul-sec, le claquant avec fracas sur le bar. Rapidement le barman le sert pour la cinquième fois d'affilé. Il s'apprête à faire une remarque, surtout qu'à cette allure il risque de ne pas terminer la soirée debout, mais se ravise en voyant le regard sombre que lui lance son client. Il ravale sa salive, repli ses ailes et file à l'autre bout du comptoir, l'air de rien. Une fois seul, Toya choisit ce moment pour pousser un profond et long soupire. Il se demande encore pourquoi il a suivit le conseil de Natsuo pour finir ici, à Yulïna. Il aurait préféré aller à Drakna pour voir à quoi ressemblent les humains de près. Mise à part un léger aperçu avec Izuku, le compagnon du roi, il n'a pas eu la chance d'en croiser énormément. Non pas qu'il est attiré par eux mais la curiosité qui l'habite ne fait qu'accroître son envie d'en croiser de plus près, beaucoup plus près. Toya n'est pas un être sain et lui-même le sait. Pourtant, cela fait un moment que l'envie de se battre ne l'a pas animé. Il s'est assagit depuis l'épisode du garçon. Ce n'est pas la première fois qu'un événement comme celui-ci vient le hanter. Des horreurs il en a commises, que même ses propres parents ne savent pas. A-t-il tué ? Oui. Plus d'une fois et n'en a parlé à personne, même pas à Natsuo, son frère avec lequel il est le plus proche. Jamais il n'a levé la main sur un Drākõn dans le but de tuer, seulement pour se battre. Il a croisé plus d'une fois des barbares rodant trop près des frontières à son goût. Les seules fois où il sortait, c'était uniquement pour cela. Nettoyer les terres des ordures comme eux. Ce n'est pas juste, il le sait, mais il ne fait rien de mal. Qu'auraient-ils fait d'un Drākõn comme lui ? Ou d'un enfant ? Il préfère cent fois mieux les voir se vider de leur sang sur le sol, plutôt que de penser à son père enchaîné. Keigo, le seul être au monde capable de le faire passer de loup à agneau. Hors de question de laisser Drākõnia se faire envahir sans rien dire.
Alors quelques fois, il sort pour nettoyer les frontières puis rentre le pas léger dans son foyer. Tant que personne ne voit, personne ne peut savoir. Maintenant, il a fuit sa famille. Trois jours qu'il est à Yulïna, la cité verdoyante et il n'a pas quitté le bar et l'auberge. Il est un peu perdu, ne sachant absolument pas quoi faire, ni où aller. La seule chose qu'il souhaite faire, c'est libérer ses semblables de l'oppression humaine. Arracher leurs chaînes pour leur rendre leur liberté. En a-t-il le droit ? La force ? Il n'est qu'un petit dragon perdu dans la nature. Il vient à peine d'entrer en âge adulte et son esprit tournoi entre ses idéaux et son instinct. Il n'est pas bête et comprend que son envie de liberté veut également dire qu'il est prêt à fonder une famille. Soyons honnête, qui voudrait de lui ? Un être détruit, torturé, partagé entre des sentiments de noirceurs et de gloires impossibles. Le corps brûlé, le visage défiguré, le cœur en miette. Il faudrait du temps, de la patience et énormément de volonté pour le reconstruire. Il a perdu le goût au plaisir simple depuis tant d'années qu'il se demande encore si c'est possible pour lui de revenir en arrière. De redevenir un jeune dragonneaux insouciant et fragile. Il pousse pour la millième fois un soupire fort profond et décide d'arrêter la boisson pour aujourd'hui.
À travers la fenêtre il aperçoit le soleil couchant, mélange d'orange et de rose poudré, tandis qu'il pivote son tabouret pour admirer les nuances danser. Encore combien de temps à se morfondre et se questionner ?
Un coup d'épaule violent le sort de ses pensées tandis qu'il se reconnecte à la réalité, ses yeux devenant sombres. Quand il se retourne, un Drākõn plus âgé que lui accompagné de ses amis sont là à rire gorge déployée tout en renversant leur boisson sur le sol. Il voit immédiatement rouge. Ses émotions sont de plus en plus en ébullitions et il ne tente jamais de les contrôler ou de les faire taire. Il se lève, attrapant l'homme par l'épaule et le soulève sans mal. Ses pieds décollent du sol alors qu'il bat piteusement des ailes. Toya déploie les siennes pour démontrer sa force, lui signifiant clairement qu'il est plus jeune, plus fort, plus grand. Ses amis tentent d'intervenir mais le noiraud enflamme sa main libre pour les faire reculer. Le bar devient silencieux, et la seule chose que l'on entend sont les battements d'ailes du Drākõn pendu en l'air. Toya plonge ses yeux dans les siens, un éclair bleu passant à l'intérieur.
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Coeur Ardent - La légende d'Ateas
FantasíaUn esclave ne représente rien aux yeux de ces bourgeois. Dans le royaume de Drakna, le jeune Izuku ne dira pas le contraire. Fils d'une esclave et d'un chevalier dépourvu de son titre, il passe ses journées à servir le roi excentrique, sans dire un...