Sad kids

Prologue

Ashanti lança un regard complice à sa fille dans le rétroviseur de son pick up. Cette dernière la gratifia d'un sourire amusé alors qu'elles entonnèrent le refrain de Is this love de Bob Marley. Elles partageaient toutes les deux cette même passion pour cette légende du reggae. De ce fait leur ballade en voiture était toujours ponctuée des chansons de cet homme. Surtout qu'Ashanti partageait quelques similitudes avec le chanteur comme le fait qu'ils étaient tous deux originaires de la même île et qu'ils arboraient tous les deux des locs.

Ceux d'Ashanti étaient rassemblés en un chignon haut sur sa tête car il faisait une de ces chaleurs et ça que ça donnait chaud toute cette masse capillaire. Elle avait commencé à les laisser pousser quand elle avait fuit la demeure familiale pour débarquer aux Etats-Unis il y a maintenant 15 ans de cela, elle était alors une gamine paumée qui avait grandi dans une famille conservatrice et qui désirait se libérer de leur enseignement.

Son premier acte pour faire valoir sa liberté a été de commencer ses locs et depuis ses mèches avaient tellement poussés qu'elles chatouillaient le creux de ses reins. Et elle en était très fière car elle symbolisait le début de sa vraie vie. Elle n'était pas idyllique loin de là mais elle valait mieux que la vie que ses parents comptaient lui imposer. Elle avait sa fille, son travail et des amis sur qui elle pouvait compter en toute occasion.

Elles revenaient toutes les deux de Malibu où elles avaient passé la journée à Zuma Beach à surfer et à se gaver de glace puis elles avaient terminé au cinéma. Rory avait insisté pour regarder Le roi lion, encore. Ashanti constatait avec amusement que malgré les années, son engouement pour ce dessin animé ne s'était pas tari.

Elle ne savait pas si c'était le fait que Simba tout comme elle avait grandi sans son père ou tout simplement parce qu'elle adorait voir Timon et Pumba jouer aux idiots. Mais à 12 ans, elle était toujours aussi fan de ce Disney même si elle fondait en larme incontestablement à la mort du père de Simba et connaissait sa playlist par cœur. Au fond Ashanti était heureuse que l'adolescence n'ait pas fait disparaître ce côté mignon de la personnalité de sa fille.

Elle était consciente que grandir sans figure paternelle n'était pas l'idéale pour l'équilibre d'un enfant mais elle faisait de son mieux tous les jours afin que le vide soit comblé. Mais maintenant elle commençait à redouter les possibles crises d'adolescence qui ne manquerait pas de lui tomber dessus dans les jours qui venaient.

Car adolescente, elle l'était, ça ne faisait plus aucun doute. Ses jambes n'arrêtaient pas de pousser, son corps s'était arrondi à des endroits stratégiques et elle était amoureuse. La première fois qu'Ashanti avait entendu parler de ce garçon, c'était pendant une conversation téléphonique avec la meilleure amie de sa fille.

Ce n'était pas son intention de l'espionner mais la curiosité avait été trop forte. Apprendre que sa petite fille grandissait a été un choc pour elle. Mais ça a été encore plus dur de savoir que les sentiments de sa petite princesse n'étaient pas partagés. Quel garçon serait assez idiot pour ne pas l'aimer? Rory était la fille la plus adorable du monde et elle était magnifique. Bon, sa fille répugnait à mettre son physique en avant et s'habillait comme un garçon manqué mais son style vestimentaire n'arrivait pas à masquer le fait que c'était une jolie fille.

- Tu sais, l'année prochaine, ça te dirait de faire une vraie fête d'anniversaire? Tu inviterais tes amis...

- Non, ça va. Je préfère largement passer ma journée avec toi. Et puis notre quartier n'est pas vraiment l'idéal non plus. Je doute que les parents de mes amis comme tu les appelles autoriseraient leur gamin à venir chez moi pour un anniversaire.

Elle dut admettre que sa fille avait raison. Leur quartier n'était pas très recommendable selon les copains de l'école huppé où allait sa fille. Son quartier faisait partie de ces coins de L.A où se regroupait les minorités ethniques et culturelles, le genre d'endroit où la police intervenait rarement. Elle aurait pu déménager depuis belle lurette, elle en avait les moyens maintenant. Mais ce quartier, c'était chez elle.

Il y avait tous les gens qui comptaient pour elle et aussi ceux qui comptaient sur elle. C'était l'endroit qui l'avait accueilli quand elle n'avait nulle part ou aller. Elle était certes un brin trop sentimental mais elle ne se voyait pas trop abandonner tous ces gens qui lui avaient tendu la main alors qu'elle était au plus bas. Mais peut-être que Rory, elle, voudrait déménager?

- Tu aimerais qu'on s'installe ailleurs? Genre dans une banlieue chic? Ou même à Malibu, je sais que tu adores Malibu.

- Ce n'est pas plutôt toi qui l'adore. C'est tout de même l'endroit où tu rencontrés mon père, non?

Ashanti se crispa, le sujet du père de Rory était quasiment tabou entre eux notamment parce qu'elle avait toujours estimé que sa fille était bien trop jeune pour saisir toute la complexité de ce qui le reliait à lui.

- Oui, c'est là que je l'ai rencontré.

- Je parie que c'était un surfeur...

Ashanti ne dit rien mais acquiesça lentement de la tête.

- C'est pour lui que tu veux y aller vivre?

- Non, pas du tout! C'est juste que Malibu fait partie des villes les plus sûres du monde et moi tout ce que je voudrais c'est que tu sois en sécurité.

L'adolescente esquissa un sourire à cette perspective avant de secouer la tète de droite à gauche. Elle ne s'était jamais sentie en danger dans son quartier malgré tout ce que pouvait raconter les mieux lotis de L.A.

- Ça ne me dit rien. On a tous nos amis chez nous, Mme Brown prend de l'âge et ne saurait se débrouiller sans nous et tu le sais. Je ne crois pas que nous soyons faites pour vivre dans une ville comme Malibu. C'est beau mais ça manque... d'âme. C'est ça, on dirait une ville sans âme. Et puis comment tu ferais avec ton travail et tes cours.

Elles savaient toutes les deux que ses excuses ne tenaient pas la route mais elles étaient très attachées à leur quartier pour différentes raisons et ne se voyaient pas le quitter pour un endroit qui peut-être ne voudrait pas d'eux. C'étaient toutes les deux de grandes sentimentalistes au fond.

- Tu as raison. Mais je veux juste t'offrir le meilleur, tu comprends.

- Je comprends mais on est bien chez nous et je veux que ça ca reste ainsi. On serait des intruses à Malibu, ce n'est pas le genre de ville pour des filles comme nous maman.

Elles échangèrent un sourire complice, le vert des prunelles de la plus jeune rencontrant le noir charbon de sa mère. Ashanti ressentait toujours des frissons quand elle croisait les yeux de sa fille, le même regard que son père. C'était tellement troublant de retrouver un bout de cet homme qui comptait tant pour elle dans sa fille.

Elle parlait rarement à Rory de son père, de toute façon, cette dernière ne voulait pas entendre parler de lui. Elle arguait qu'un homme digne de ce nom n'aurait jamais pu abandonner une femme comme elle. Ҫa la faisait rire de voir sa fille la défendre aussi farouchement mais ça la rendait triste aussi de ne pas réussir à lui faire comprendre la situation délicate dans laquelle elle s'était trouvée quand elle tait tombée enceinte d'elle. Rory était bien trop jeune pour entendre cette histoire et elle ignorait quand exactement elle pourrait l'entendre.

Un concert de klaxon subit les fit sursauter. Une voiture fonçait droit sur eux à toute vitesse. Elle semblait tanguer comme si le conducteur n'avait plus le contrôle du volant. Ashanti regarda où trouver une échappatoire, à sa gauche c'était une falaise alors que la Hummer arrivait droit sur eux depuis sa droite. Dans ses yeux, se reflétait un désespoir poignant. À côté d'elle, la respiration de sa fille s'était faite erratique. Elle était effrayée. Il n'y avait aucune chance qu'elles évitent la collision et elle le savait. A cet instant précis, elle vit sa vie défiler devant elle et regretta de n'avoir jamais eu le courage de vivre sa vie pleinement en laissant partir le seul homme qui ait jamais réussi à la rendre heureuse.

- Maman! Hurla Rory quand la voiture les percuta de plein fouet les envoya valdinguer au fond de la falaise.

Dans un dernier sursaut d'instinct maternel, Ashanti couvrit le corps de sa fille du sien lui servant de bouclier. Les prunelles de sa fille, envahies par la terreur fut la dernière chose qu'elle vit avant de sombrer dans l'inconscience.