Chapitre I

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Bradford. Jeudi, 12 Novembre 2009.
15h44.

C'était stupide de m'avoir fait prendre un avion qui aterrissait à Londres, alors que Bradford était à près de trois heures et demi en automobile de l'aéroport Heathrow. Apparement, c'était la brillante idée de Barbie, qui pensait que j'aurais bien aimer découvrir le Royaume-Uni avant de m'installer dans le Yorkshire.

Je pestais intérieurement contre cette poupée plastique. Elle venait officiellement de s'inscrire sur ma Black List. Une liste qui comportait d'ailleur beaucoup de noms, en premier celui de ma mère.

Après ce qui m'a parut être une éternité (4h30, en fait, car il fallait inclure les nombreuses pauses pour permettre à mamie Lora de prendre l'air), nous sommes enfin arrivé chez papie et mamie.

C'était une grande maison, qui aurait pu être très belle si elle n'avait pas l'air abandonnée. Visiblement, ils avaient arrêter de l'entretenir (du moins de l'extérieur) depuis longtemps. La peinture blanche s'écaillait sur les bardeaux et deux des volets noirs qui encadraient les fenêtres commençaient à se décrocher et menaçaient de tomber. En d'autres mots, elle aurait très bien pu faire office de maison hantée dans un film d'horreur.

Je sortie la première de la voiture, aterrissant en plein milieu d'une flaque d'eau. D'un lac, oui ! Mes Converses se remplirent d'eau et un bruit de caoutchouc mouillé se faisait entendre à chacun de mes pas. J'aidai mamie Lora à sortir de la mini-van et à s'installer dans son fauteuil.

Elle s'était remis à parler du temps où elle était encore jeune, mais personne ne l'écoutait. J'aime beaucoup mamie Lora, mais parfois, elle peut vraiment être agaçante. Elle n'arrête jamais de parler, comme si elle voulait compenser le fait qu'elle ne marchait plus en parlant continuellement. Même Barbie, parfois, soupirait en l'entendant raconter ses histoires. Seul papie Willy ne bronchait pas. Il ne bronche jamais, en fait. Il ne parle qu'en absolue nécessité. Total inverse de son épouse. Comme quoi les oposés s'attirent...

Après ce long trajet pénible en auto, c'était bon de se dégourdir les jambes. Je ramasse ma valise et mon sac, cette fois coincé sous mon bras, et nous rentrons dans la maison. La déco n'était pas terrible. Des biblos un peu partout, des photos de leurs enfants et petits enfants, des peintures de paysages... Un fort parfum emplissait l'air. Le même que celui de mamie Lora, mais en trois fois plus fort. Sur le coup, j'eu presque un haut-le-coeur. Et dire que je vais devoir vivre un an avec cette odeur.

Les meubles sont tous vieillots ; de véritables entiquités. Une vieille télé trône dans le salon, avec ses oreilles-de-lapins. Je l'allume. Et bien, j'aurais été prette à parier que les images seraient en noir et blanc. Mais non, on y voyait bien des couleurs. Parfois, elle grichait un peu, mais bon.

Barbie me dit que ma chambre est à l'étage, première porte à droite des escaliers. Je me débarasse de mon coupe-vent, j'enlèves mes Converse détrempés à l'entrée, pour ne pas salir le plancher, et j'enlève aussi mes chaussettes, finalement, car elles aussi sont imbibées d'eau. L'escalier grince sous mes pieds nus. Pas très pratique si on veut passer inaperçu. Une fois les marches montées, j'entre dans ma nouvelle chambre.

Elle est vide. Enfin, mis à part le vieux lit à ressorts, une table et une petite chaise en bois, il n'y a rien. Les murs sont blancs, le couvre lit est en patch-work, et la poussière recouvre chaque meuble, emplissant la pièce d'une atmosphère glauque et déprimante.

Je pose ma valise sur le sol, puis me dirige vers mon garde-robe. C'est une minuscule penderie, où j'aurai juste assez de place pour y disposer tout mes vêtements. Heureusement que je n'avais pas apporté 
beaucoup de choses. En quinze minutes à peine, j'étais déjà toute installée. Il ne restait qu'à épousseter et passer un bon coup de balais, mais ça, je le ferai demain. Puis, j'ouvres mon sac de marin 
et y sors mes cartables, mon sac d'école et toutes mes choses pour recommenser l'école dans ce nouveau lycé.

«Ce n'est pas si mal, Be. Tu n'as qu'à te dire que c'est un nouveau départ. Tu sais que je n'ai pas le choix de t'envoyer là. Ça te fera du bien. Depuis le départ de ton père, tu me sembles si triste, si déprimée... Tu avais besoin de changer d'air, de t'éloigner un peu. 
Et puis, tes grand-parents sont tellement contents que tu viennes vivre chez eux ! Ne t'inquiète pas, ce n'est que pour une année.»

Ce n'est que pour une année. La voix de ma mère résonnait encore dans ma tête. C'était les dernières choses qu'elle m'a dites avant que je montes dans l'avion, à Montréal.

Elle m'a toujours appellé Be (oui, oui, comme le verbe Être, en anglais). C'est que, quand on s'appelle Rebecca, c'est toujours difficile de se trouver un surnom, et c'est le seul qu'elle a trouvé et qui n'est pas trop ridicule. Et pour ma part, je préfère cent fois 
plus Be que Becca, ou Reb.

Je me laisse tomber sur le matelas, qui me renvoit le son métallique des ressorts qui grincent. Le lit est dur et pas très confortable, mais au moins, c'est un lit double. Au plafond, il y a un vieux ventilateur suspendu, couvert de poussière et de toiles d'araignée.

22h19.

Je ne suis pas sortie de ma chambre depuis mon arrivée, pas même pour manger un morceau. De toute façon, je n'avais pas faim. J'ai juste troqué mon jeans et mon T-shirt des Rolling Stones pour un pyjama confortable, et je me suis glissée sous les couvertures. Il fait très frais dans la chambre, car il n'y a pas le chauffage. Je remonte le Patch-Work jusqu'à couvrir tout mon visage, et je finis par m'endormir.

Bradford. Vendredi, 13 Novembre 2009.
7h00.

On m'a forcé à me réveiller en allumant la lumière de ma chambre et en tirant sur les rideaux. Je gémis. Quelle heure est-il ? Peu importe, c'est trop tôt à mon goût. J'enfouie ma tête dans mon oreiller.

Sophia : Allez, il faut se lever !

Je grogne. Pas elle ! Je sens une main secouer la couverture au niveau de mon épaule. Je rêve ou elle venait juste de me toucher ? Je me dégage pour rompre le contact et je m'asseois sur le lit.

Barbie me regarde et me fait un sourire, l'air de redouter que je la morde ou quelque chose dans le même genre. L'idée ne me déplait pas trop... Non, je ne suis pas du genre violente. Jamais je n'oserais lui 
faire ça... Sauf si elle le cherche.

Je la fusille du regard, et son sourire s'efface aussitôt pour faire place à... Du dédain ? Oui, c'est ça. Je crois que moi aussi, je viens de m'inscrire sur sa Black List. Mais elle n'a pas à s'en faire, son mépris est tout à fait réciproque.

Après m'être douchée et habillée, je me dirige vers la cuisine. Une odeur de café flotte dans l'air, masquant celle du parfum de ma grand- mère. Quand j'arrive, mamie Lora est en train de raconter à Barbie un 
anecdote à propos de sa jeunesse, Barbie l'écoute à moitié, et papie Willy lit son journal en buvant son café.

Je me sers une tasse et m'asseois à côté de lui, évitant le regard mauvais de miss Botox. Je me demande comment elle a fait pour se retrouver avec une job comme celle-là. Après tout, elle aurait quasiment pu être mannequin, anorexique comme elle était. Mais non, à la place, elle fait la femme de ménage pour mes grand-parents. Pour moi, aidante naturelle doit être le dernier de tout mes choix de carrière. Je préférerais mille fois mieux travailler dans un petit dépanneur miteux au salaire minimum que de faire le boulot de Barbie.

Alors que je croque dans une pomme, je regarde l'heure sur le cadran du micro-onde... 8h42 ! Les cours commençaient dans moins d'une demi- heure ! Comment c'est possible ? Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais passé autant de temps sous la douche. Je dépose ma pomme, verse le reste de mon café dans un thermos et j'enfile mes Converses quand j'entend la voix de Barbie derrière moi.

Sophia : Où tu vas, comme ça ?

Elle a abandonné son air gentil pour le remplacer par un ton méprisant, condescendant. Je me retourne pour lui faire face. Sans ses talons ultra-hauts, elle est un peu plus petite que moi.

Moi : À Disneyland.

Elle hausse un sourcil. Visiblement, Barbie n'apprécie pas mon sarcasme.

Moi : À mes cours, je vais être en retard.

Sophia : Je vais te conduire au lycé.

Un frisson d'horreur me parcours.

Moi : Non.

Elle a un petit rire mauvais, comme si elle se moquait de moi.

Sophia : Ah oui ? Et comment tu comptes t'y rendre ? Tu n'as pas de voiture. À tu au moins l'âge d'en conduire une ?

J'ignores ses moqueries et mets mon manteau.

Sophia : De toute façon, tu ne sais même pas où se trouve ton école. Alors c'est non négociable.

Ça me faisait mal de l'admettre, mais elle marquait un point. Je n'avais pas pensé à ce détail (qui, à bien y penser, relevait plutôt de l'information capitale que du simple détail). Sans répondre, j'accroche une des gances de mon sac à dos à mon épaule gauche et je sors dehors.

Tout de suite, le froid me mord les joues. Les flaques d'eau de la veille se sont transformées en glace, et la rosée du matin est devennue du givre, collé partout. Le sol, les maisons, les arbres. Tout était recouvert d'une infime couche de glace.

Sans dire un mot, je me dirige vers la mini-van et ouvre la portière de derrière. Pas question de m'asseoir en avant, juste à côté d'elle.

Elle monte, met le contact et allume le chauffage. Le trajet se fait en silence. Je regarde par la fenêtre et essaye de mémoriser le chemin, pour éviter de devoir renouveller l'expérience du transport avec Barbie.

Après deux où trois minutes seulement, on est déjà arrivé. Des groupes de jeunes traînaient encore dehors. Au moins, c'était signe que je n'étais pas trop en retard. Alors que miss plastique se stationne dans le parking, elle se remet à me parler, avec ce nouveau ton mauvais et méprisant.

Sophia : Bon, je n'irai pas par quatre chemins. Rebecca, je ne sais pas quel est ton problème, mais il va falloir que ça change. Depuis ton arrivée, c'est à peine si tu à prononcer une dizaine de mots. Tu 
es continuellement désagréable !

Moi : Je te retournes le compliment.

Elle me jette un regard assassin. Si elle avait eu des fusils à la place des yeux, ça n'aurait pas prit 2 secondes que j'aurais déjà été criblée de balles.

Sophia : C'est moi qui décide, ici. Alors si tu continue à être aussi méchante avec moi, et bien...

Moi : Tu vas faire quoi, hein ? Me faire faire du piquet ? Me privée de sortie ? Je ne suis pas une gamine, alors ces petites menaces ne marchent pas avec moi. Tu n'as pas à me dire quoi faire, t'es pas ma mère.

J'ouvres la portière et me propulse dehors.

Sophia : Tu ne penses quand même pas t'en tirer comme ça ? Reviens ici, je n'ai pas finit !

Moi : Et ben moi, si.

Je claque la portière. Quelques personnes se retournent vers nous, intrigués. Je baisse aussitôt la tête, me rappellant quelques règles de survie pour les nouveaux étudiants. D'abbord, faire profil bas, ne pas attirer l'attention. Deuxièmement, ne pas faire d'idioties, et dernièrement, se trouver au moins un ami.

Un ami, même provisoire, quand on arrives dans un nouveau lycé, c'est toujours pratique. Car il peut tout nous aprendre sur les choses à faire et à ne pas faire, les gens à éviter...

Je me dirige directement vers les portes, sans prendre la peine de me retourner pour voir si Barbie est déjà partie ou non. Je sens encore quelques regards derrière moi, mais j'essaie de ne pas y faire attention. Le sol est très glissant à cause de la petite couche de 
glace.

Il n'y a pas de neige. Les arbres ont tous perdus leurs feuilles et ont l'air morts sans la neige qui recouvre leurs branches. La neige a toujours eu quelque chose de magique, pour moi. Ça transforme les paysages, leurs donne un aspect pure, simple, féérique. Ça me 
rappelle mes hivers passés au Québec. Quand d'immenses bancs de neiges longeaient les rues, quand nous étions tout emmitoufflés dans 
nos gros manteaux, une tuque enfoncée sur la tête et un foulard enroulé au cou. J'adorais faire des batailles de boules de neige avec mon père. Tous les deux, on faisait une super équipe. Je faisais les boules, et il les lançait le plus loin possible, directement sur l'équipe adverse.

J'eu un petit sourire nostalgique en me souvenant de ces moments. Papa me manque, c'est vrai. Je m'ennuie de lui, énormément. Est-ce qu'il pense à moi, de temps en temps ? Ou m'a-t-il déjà complètement oublié ?

Après avoir demandé mon chemin trois fois, longé une dizaine de corridors, je trouve enfin le secrétariat. Une bonne femme potellée est derrière le comptoir. Je récupère mon horaire et mes fiches d'inscriptions. Alors que je m'apprête à partir, elle me fait un immense sourire.

Elle : Bienvenue à Tong Hight School !

Je lui fait un sourire poli, et je fou le camps du secrétariat. Puis, je me dirige vers mon casier, et ensuite vers mon premier cours. Math. Génial. Quoi de mieux pour commencer une première journée d'école 
que de faire un peu de mathématiques.

Je franchie la porte de la classe. Heureusement pour moi, le cours n'est pas commencé. Je me dirige au fond de la classe. Quand je dépose mes cartables sur le dernier burreau derrière, quelques têtes se retournent vers moi. Aussitôt, les messes basses reprennent. «C'est elle la nouvelle ?» «Mais oui, bêta, qui veux tu que ce soit d'autre !» «La pauvre, elle va devoir se coller Emma !».

La dernière phrase a attiré mon attention. Emma ? Au même moment, la cloche sonne. Un petit monsieur (mais vraiment minuscule !) se lève du burreau du prof et s'avance devant la classe. Il était si petit que je 
ne l'avais même pas remarqué en entrant !

Lui : Bonjour tout le monde, comme vous l'avez sans doute remarqué, nous accueillons aujourd'hui une nouv...

La porte d'entrée s'ouvre en grand, interrompant le professeur. Une jeune fille entre presque en courant dans la classe, toute échevellée, les bras emmellés dans ses cartables.

Elle : Désolé, m'sieur Cooper. J'suis en retard.

Quelques élèves rient. Le prof la regarde un instant, puis lui fait signe d'aller s'asseoir. Elle se dirige vers le fond de la classe, vers moi. Puis, elle prend la deuxième place libre à ma table.

Elle : Salut, t'es la nouvelle ? Moi c'est Emma !

Elle me fait un sourire étincellant. Je lui souris à mon tour.

Moi : Rebecca.

Le prof nous regarda d'un air qui voulait dire «fermez la, vous dérangez mon cours».

Le prof : Comme je disais avant que notre chère Emma n'entre, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Rebecca Johnson, une nouvelle élève dans notre école.

Tout le monde se retourne vers moi, et je me raidis aussitôt. 

Le cours commence, mais Emma n'a pas l'air de s'en rendre compte, car elle continue à me parler.

Emma : J'ai toujours voulu m'appeller Rebecca. C'est trop joli comme nom !

Moi : Euh... merci.

Emma : Mais c'est un peu long, je trouve. T'as pas un surnom ?

Moi : On m'appelle Be.

Emma : Waah ! Trop génial, comme surnom !

Le prof : Mlle Emma, s'il vous plait. Soyez plus attentive et laisser Rebecca tranquille.

À nouveau, tout le monde me fixe. C'est officiel, je déteste être la nouvelle. Mais comme Emma est super sympa, la journée fut un peu moins pénible.

Emma est plutôt exentrique. Les cheveux fous fous, elle parle tout le temps et elle est hyper expressive. Mais étrangement, ça ne me tape pas sur les nerfs. Peut-être parce c'est la seule personne qui veut 
bien se tenir avec moi dans ce lycé. La journée s'est plutôt bien passée. J'ai réussi à atteindre mes trois objectifs : faire profil bas, ne pas faire de truc stupide et me trouver une amie. 

Quand la dernière sonnerie retentie, je me précipitai vers l'extérieur. Une fois dans le parking, je remarque que la mini-van n'est pas encore arrivée. Yes ! En plein ce que j'espérais. Je me suis engagée sur le 
trottoir, suivant le chemin en sens inverse que celui que Barbie avait prit ce matin.

Je regardais où je posais chacun de mes pas, évitant les endroits glissants. Mais comme la maladresse est mon plus grand défaut, mon pied finit par glisser sur une plaque de glace et je me ramasse les fesses par terre. Je me sens stupide. Je regarde autour de moi, pour voir si personne ne m'avait vu me ridiculiser. Faute de chance, je vois de l'autre côté de la rue, un garçon, qui me fixe. Oh la honte.

Puis, le jeune homme s'avance, traverse la rue et vient me rejoindre.

Stormy SkyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant