Je revins sur la conversation et je dis :
— J'ai un don. Je peux lire et modifier les rêves d'autrui. Je peux travailler pour vous mais j'ai une condition, je ne révèlerai jamais mon identité.
— Voilà qui est intéressant. Je vous donne rendez-vous demain à 22h dans la réserve près du vieux moulin de Grandville pour vérifier cela.
— Je serai là.
Le lendemain à 22h, je me rendis au lieu indiqué avec mon masque. Deux hommes se trouvaient dans la réserve.
L'un d'eux m'expliqua comment il allait vérifier mon don.
— Je vais dormir et mon collègue va vous donner une feuille sur laquelle il a écrit ce dont je dois rêver. Pour ne pas être influencé je ne connais pas le contenu du papier. Si je rêve bien ce dont je dois rêver vous serez prise.
Il prit un somnifère et s'allongea sur un lit de camp, quelques minutes plus tard il dormait. Son collègue me montra alors le contenu de la feuille. Il devait être poursuivi par un ours et tomber d'une montagne pour se retrouver dans un terrier de lapins.
Je m'approchais de l'homme allongé et collais mon front au sien. Mon cœur cognait fort contre ma poitrine, je savais que j'étais capable de le faire mais c'était la première fois que je le faisais. D'une façon inexplicable je lui transmis le rêve et je le vis sursauter lorsqu'il tomba de la montagne.
Quand le rêve fut terminé je me relevai.
Son collègue lui fit boire quelque chose qui le réveilla. Il cligna des yeux et raconta son rêve. J'entendis un hoquètement de surprise à côté de moi.
— C'est bien ça, c'est exactement ce que j'ai écrit.
L'homme qui dormait se leva et me dit.
— J'imagine que vous ne mentez pas non plus sur le fait de pouvoir lire les rêves des autres. Vous êtes prise.
— Mais en quoi consiste le travail ?
— Vous aurez toujours le même type de mission. Nous nous chargerons de vous faire entrer discrètement dans la chambre de politiciens et vous modifierai leur rêve selon le papier que nous vous aurons laissé ici avec l'endroit et les horaires ainsi que des déguisements et des faux papiers si nécessaires. L'argent vous sera déposé ici également dans une trappe secrète que voici.
Il ouvrit et ferma la trappe devant mes yeux. Son collègue ajouta :
— Même si le rêve ne vous convient pas vous devrez obéir à ce qui écrit mot pour mot et vous ne devrez jamais poser de questions non plus concernant nos intentions et notre but. Vous travaillez, vous êtes payé, point.
J'acquiesçai en grimaçant. Je venais de me rendre compte que j'avais transgressé pour la première fois un point de notre règle familiale fait spécialement pour moi : ne jamais manipuler les rêves d'autrui.
Avant de partir un des hommes se tourna vers moi en disant :
— Votre nom de code sera Araneae. Ah, j'allais oublier, nous vous avons procuré un poste de livreuse de pizza pour couverture.
— Ah, merci.
C'était bien d'avoir une couverture, comme cela mes parents ne risqueraient pas de découvrir que je transgressais la règle familiale.
Je les regardai partir puis je m'assis sur le lit de camp en soupirant.
— J'espère que je ne suis pas en train de faire une énorme bêtise, je me frottai le menton, le principal est que je vais gagner suffisamment d'argent pour rembourser les dettes de mes parents.
Je lançai un regard circulaire à la pièce. A côté de la trappe se trouvait des papiers. Je me levai et les prit. Il y avait une feuille concernant mon travail de livreuse de pizzas, une autre qui m'indiquait le lieu et l'heure de ma première mission en temps qu'Araneae ainsi qu'une dernière décrivant le rêve. C'était quelque chose concernant une loi que je ne connaissais pas. Je baissai les yeux en direction de ma montre. C'était dans une heure.
Je me levai et partis de la réserve après avoir poussé la vieille porte rouillée. Je devais me rendre dans la propriété privée de monsieur Faure, un ministre, en entrant par la porte arrière.
Je rentrai chez moi et pris mon vélo. Le lieu se trouvait un peu en dehors de la ville dans une zone où on avait récemment construit de nombreuse propriétés pour des personne célèbres. Dans ce genre d'endroit la sécurité n'était pas de la rigolade, je me demandai comment ils avaient réussi à ouvrir la porte arrière menant sur la rue.
Lorsque j'arrivai au lieu indiqué, une sorte de décharge électrique me traversa, je fus un instant tétanisée par la peur. Si j'étais prise en flagrant délit, qu'adviendrait-t-il de moi ? Selon le papier il se trouvait seul, entièrement seul, il n'y avait donc aucune raison d'avoir peur.
Je déglutis et entrai dans la propriété. Le sol grinça sous mes pas. Je m'arrêtai un instant mais personne ne bougea. Je me trouvai dans une gigantesque entrée, il y avait à ma droite et à ma gauche de nombreuses portes et devant moi un magistral escalier en chêne, sur lequel reposait un soyeux tapis de velours rouge.
Je décidai de monter l'escalier. Arrivée en haut je vis en face de moi un très long couloir qui avait une dizaine de chambres à sa gauche et à sa droite. Elles étaient en face les unes des autres de façon symétrique.
Je soupirai. Comment allais-je trouver la bonne chambre ? Je fis quelque pas et entendis un ronflement à ma droite. Je souris. Je pouvais voir un léger rai de lumière en dessous de la porte de la cinquième chambre à ma droite.
Je tournai doucement la poignée et entrai. Un vieux bonhomme au ventre proéminent dormait sur un gigantesque lit au milieu de la pièce. La couverture qui recouvrait à peine son ventre tressautait à chacun de ses ronflements. Je me mordis les lèvres pour ne pas rire.
Mon cœur avait repris un rythme normal, il ne serait pas difficile d'entrer dans les rêves de ce gros bonhomme. Je m'approchai de lui et collait mon front au sien, je déglutis de dégoût au contact de sa peau molle et moite.
Je sortis le papier et lui transmis le rêve écrit dessus. Puis je me relevai et essuyai mon front du revers de ma manche. J'avais réussi ma première mission.
Je sortis de la chambre en fermant doucement la porte derrière moi. Je me retournai et me cognai brusquement sur quelque chose de mou.
Je levai les yeux et tressaillis. Un homme se trouvait devant moi. Mes yeux s'agrandirent de peur. Je reculai.
Il fronça les sourcils et m'attrapa le bras.
— Vous êtes la maîtresse de mon père ?
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La tisseuse de rêves
Roman d'amourAbygaelle est née comme tous les membres de la famille Miller avant elle dans la demeure familiale, pour préserver le secret de leur don, qui est de pouvoir lire les rêves des autres. Tout est pareil à la différence près qu'elle est "la tisseuse de...